La magie dont il est question ici, c’est l’illusionnisme, « l’art de l’impossible », c’est-à-dire l’art de créer l’illusion d’un phénomène impossible. Les effets produits par un illusionniste suscitent notre surprise parce qu’ils sont en décalage avec les attentes que nous avons sur le monde qui nous entoure : ce qui compte, pour l’artiste, c’est que nous n’observions pas ce que nous nous étions a priori imaginé.

Il importe d’insister sur ce point : un phénomène ne nous apparaîtra magique que s’il contrevient à nos attentes. Il n’y a de magie que si l’effet produit entre en conflit avec notre représentation de la réalité. Si vous croyez que tout être humain passe naturellement ses journées à traverser les murs, multiplier les pièces de monnaie et lire dans les pensées de son voisin, aucun spectacle de magie ne pourra vous étonner.

Attendez, vous voulez dire que vous n’êtes pas tous capables de léviter ? Mais vous faites comment pour aller au bureau le matin ?

Dans ces conditions, nous ne pouvons parler de « magie politique » que pour des actions ou des discours politiques heurtant nos présomptions. En pratique, nous distinguerons deux grandes catégories :

  • Les prétentions magiques (a priori ou a posteriori)

En violation du code tacite des magiciens, qui stipule qu’il ne faut jamais annoncer l’effet que l’on va réaliser, les politiciens proclament régulièrement qu’ils vont accomplir des prouesses. Parmi ces tours de force qu’ils nous promettent, certains nous paraissent possibles, et d’autres non (et même si l’on croit l’exploit possible, on ne s’imagine pas automatiquement qu’il soit possible pour le politicien en question…). Si, in fine, l’artiste a réussi à provoquer le résultat escompté, alors on pourra dire qu’il a effectué un acte magique. Le cas est rare, et nous intéressera assez peu ici.

Précisons que ceux d’entre nous qui croient en la promesse du politicien sans exiger d’explications concrètes sur la façon dont il compte s’y prendre font preuve d’une faiblesse coupable : c’est ce qu’on appelle la « pensée magique ». Il ne suffit pas de croire très fort en une réalité possible pour la voir advenir dans les faits. Se contenter de déclarations d’intention, c’est se laisser berner par des vœux pieux.

Notre futur président

D’autres fois, c’est après coup que le politicien déclare avoir accompli un miracle : c’était impossible, alors il l’a fait. Mais, là encore, tout dépend de ce qu’on considérait ou non du domaine du possible. Et se pose également la question du crédit qu’on accorde à l’artiste : ce qu’il décrit s’est-il réellement produit, et si oui considérons-nous effectivement que ce soit de son fait ? Sur ce site, ce cas ne nous intéressera pas plus.

  • Les mauvais tours… dont nous n’avons même pas conscience

Comme nous l’expliquons dans notre premier article, un tour de magie est caractérisé par un effet (ce que perçoit l’audience) et une méthode (la manière dont l’illusionniste a procédé pour réaliser l’effet). Un tour est d’autant plus réussi que l’effet est impressionnant et la méthode impénétrable ; le talent de l’artiste consiste à détourner notre attention de la méthode pour la focaliser sur l’effet.

Mais un phénomène tout à fait remarquable se manifeste en politique : les tours des politiciens produisent des effets que nous échouons souvent à appréhender, et qui, a minima, ne nous frappent pas sur le moment comme ils le devraient. C’est comme si les hommes et femmes politiques étaient devenus des sortes de méta-illusionnistes : non seulement ils produisent des effets, mais ils produisent en même temps un état de sidération qui nous rend aveugles à ces effets. En plus d’avoir été aveugles à la manœuvre, nous sommes complètement aveugles à ses résultats !

Quand vos paupières sont lourdes, éteignez la télé !

Lorsque l’on prend du recul sur ce que l’on observe, et que l’on essaye de ramener nos observations à nos attentes initiales, on se rend bien compte du décalage : les politiciens ne font pas du tout ce que nous serions en droit d’attendre d’eux. Bien sûr, nombre d’entre nous se sont déjà habitués à cet écart, et ne s’en indignent plus : ils ont modifié leurs attentes pour que le comportement des politiciens leur paraisse à peu près normal.

Mais qui reste attaché à un certain nombre de valeurs et de principes perçoit fatalement la dissonance. Certaines actions nous paraissent inévitablement hors norme, par violation d’une impossibilité « physique » ou morale : nous nous disons que le politicien ne devrait pas être capable de faire ce qu’il fait (par exemple se sortir d’un scandale sans aucun dommage, manipuler des chiffres ou agir en contradiction totale avec ce qu’il vient de dire), et pourtant il le fait.

Nous avons dressé une liste d’attentes « naïves » que l’on peut avoir vis-à-vis des politiciens, que nous estimons suffisamment indépendante de toute considération partisane :

  • Ancrage : ils comprennent la vie et les besoins des gens, et sont en phase avec la réalité (par opposition au fait de vivre déconnectés du réel, hors sol, entre privilégiés jouissant d’un sentiment d’impunité)
  • But : ils ont la vision d’un modèle de société fondé sur l’intérêt général, qui leur sert de guide pour prendre leurs décisions (par opposition au fait de privilégier leur ego ou les intérêts de leur famille, clan, alliés ou classe sociale)
  • Cohérence : ils projettent leur action dans le long terme et font preuve d’un esprit de suite dans leurs idées (par opposition au fait de procéder par à-coups, en réaction à l’actualité, quitte à enchaîner les revirements)
  • Dignité : ils affichent un comportement exemplaire, inspirant la confiance par leur honnêteté et leur capacité à répondre aux questions posées, assumer leurs erreurs et prendre leurs responsabilités (par opposition au fait de mentir, tromper et chercher des boucs émissaires pour ne jamais avoir aucun prix à payer)

C’est sur la base des écarts à cette norme, c’est-à-dire du détournement de nos attentes légitimes, que nous traquerons les tours de magie « invisibles » exécutés par les politiciens… Et que nous nous autoriserons par conséquent à révéler leurs trucs et leurs techniques !

Est-ce à dire que les politiciens sont des escrocs, ou des charlatans, ou bien les deux ? Non. Car, de même que nous sommes rarement conscients de ce qu’ils font, rien n’assure que les politiciens en soient tout à fait conscients eux-mêmes. Ces Monsieur (et Madame) Jourdain de l’illusionnisme font peut-être de la magie sans le savoir !

Il y a assurément des politiciens et des magiciens malgré eux…

Donc loin de nous toute vision complotiste : nous ne pensons pas qu’il existe une confrérie de gens de pouvoir se réunissant à la nuit tombée pour conspirer, s’abreuver du sang de vierges et supplicier des poulets. Ce ne sont pas des sorciers – et les poulets seraient bien la dernière corporation auxquels ils s’attaqueraient ! Les conséquences de leurs actions ne témoignent pas nécessairement de mauvaises intentions.

Par défaut, nous suivons le précepte du « rasoir de Hanlon » : « Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer ». Une formule défendant la même idée est attribuée à Michel Rocard, sans que nous ayons pu en retrouver la source exacte :

« Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot demande un esprit rare. »

Michel Rocard, cité ici

Car ce n’est pas comme si les politiciens n’exhibaient pas régulièrement des preuves de bêtise ! Mais s’ils n’ont pas constamment la volonté de nous berner, vous verrez que, parfois, on peut quand même légitimement se poser la question.