Parce que l’épidémie de Covid-19 continue à sévir, la période n’est pas propice aux bains de foule qui rythment habituellement les campagnes électorales. Les candidats limitent leurs sorties et se présentent devant des auditoires restreints, sans parvenir à susciter l’engouement. La menace d’une abstention record plane sur le scrutin présidentiel. Face au désintérêt des électeurs et au désarroi de ses adversaires, Emmanuel Macron n’a pas grand-chose à gagner à descendre dans l’arène. Fort de son statut de président sortant accaparé par les crises, il peut refuser le débat en s’en lavant les mains : c’est le contexte lui-même qui impose une certaine distance. Pour autant, il ne semble pas avoir renoncé à l’idée de toucher ses interlocuteurs : dimanche dernier, il assumait ainsi sa politique de « main tendue » aux Algériens, qui « sera suivie de gestes ». Certains illusionnistes se font une spécialité de l’interaction physique avec les spectateurs : le cumberlandisme, ou lecture musculaire, tire parti des micro-mouvements incontrôlés provoqués par nos pensées. La moindre réflexion peut-elle entraîner une légère convulsion ? Peut-on lire dans l’esprit des gens rien qu’en les touchant ? À quoi cela sert-il vraiment aux politiciens de serrer des mains et de privilégier les contacts rapprochés ?

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L’étymologie du mot « prestidigitation » renvoie aux « doigts rapides » sur lesquels le magicien doit pouvoir compter pour exécuter ses tours. Bien sûr, réduire la dextérité à l’agilité de dix doigts est une simplification grossière, car la souplesse des poignets est clé : le principal outil de travail du prestidigitateur, ce sont ses mains dans leur ensemble.

De leur première rencontre à leur contact le plus musclé, Trump et Macron en sont souvent venus aux mains (« les gens ne réalisent pas à quel point il [Macron] aime tenir ma main »)

Le 19 mars, Emmanuel Macron prononçait un discours pour commémorer le 60e anniversaire de la signature des accords ayant ouvert la voie à l’indépendance de l’Algérie. Rappelant sa volonté de réconcilier les mémoires, le chef de l’État insistait également sur le rôle essentiel joué par les mains :

« Pendant ces quelques années, j’ai tenu beaucoup de mains. Je ne les lâcherai pas. »

Emmanuel Macron, dans le discours retranscrit ici

Quel intérêt un président peut-il avoir à ne pas lâcher la main de son interlocuteur ? Jupiter se croit-il doué du pouvoir de guérir les écrouelles, comme les rois thaumaturges de nos livres d’histoire ? Souhaite-t-il inspirer la confiance en apparaissant comme un partenaire solide, loyal et engagé, qui restera toujours à nos côté pour nous tirer vers le haut ? Ou bien cherche-t-il à nous tenir la main… Parce qu’il va finir par nous la forcer ?

Le monde de la magie offre une autre interprétation : quand un politicien vous tient la main, c’est pour mieux se plonger dans vos pensées. Le « cumberlandisme » tient son nom du mentaliste Stuart Cumberland qui, au début du XXe siècle, démontrait une étonnante capacité à lire dans les esprits : les yeux bandés, il réussissait à identifier où un individu avait caché un objet en se contentant de lui tenir le bras au gré de son vagabondage. Ne revendiquant aucun pouvoir extraordinaire, il s’opposait au spiritisme et affirmait que toutes les démonstrations spirites s’expliquaient par un mélange de trucages et de lecture musculaire, la technique qu’il utilisait pour détecter de subtils changements de tension dans le bras de ses sujets.

Mieux que le détecteur de métal : le détecteur de mouvement involontaire

Des scientifiques comme le chimiste Michel-Eugène Chevreul, dont nous vous avons déjà parlé, ont établi depuis le milieu du XIXe siècle l’existence d’un effet idéomoteur : nous pouvons effectuer des mouvements musculaires involontaires, sans même en avoir conscience, sur la base des seules pensées qui nous passent par la tête. Une idée (« idéo ») suffit à provoquer une action musculaire (« moteur »).

C’est ce qui explique qu’un pendule ou une baguette de sourcier s’animent entre les mains d’un radiesthésiste sans que ce dernier n’ait l’impression d’y être pour quoi que ce soit. En réalité, ses mains guident inconsciemment le mouvement à observer (vibration de la baguette ou oscillation du pendule selon un certain axe) pour valider ce qu’il ne peut s’avouer en toute conscience : il a déjà une petite idée du résultat (où se trouve un objet ou une source d’eau, par exemple). La seule chose que le pendule ou la baguette vient révéler, c’est l’idée préconçue de celui qui manipule l’instrument : l’expérience n’est qu’un processus d’auto-suggestion par lequel le manipulateur fait émerger le fond de sa pensée. Fondamentalement, il projette son apriori sur un élément extérieur pour ne pas avoir l’impression de lire en lui-même.

Le mouvement de balancier de l’alternance politique, ou comment osciller régulièrement de gauche à droite

De même, lors d’une séance spirite, les personnes réunies autour d’une planche de ouija poussent le verre d’une lettre à l’autre sans s’en rendre compte : la planche ne dévoilera que ce qu’ils croient déjà. Nous savions que brasser de l’air peut produire du mouvement ; nous découvrons aujourd’hui qu’avoir une idée aussi ! Ce qui ne devrait pas nous surprendre, du reste : combien de mouvements politiques sont nés d’une simple idée ?

Reste une dernière possibilité, lorsqu’un politicien se met à nous toucher : que par ce contact intime… Il cherche à nous voler ! Car, après tout, qu’est-ce qui l’empêche de nous faire les poches ? Les élus sont chargés d’organiser la vie en société en assurant la gestion des dépenses publiques effectuées au nom de leurs administrés : l’argent prélevé à chacun sous forme de taxes, d’impôts et de charges finance les biens publics, les services communs et les mécanismes d’assurance collective. Nos dirigeants sont mis en place pour décider combien d’euros sortiront de nos poches en vue d’alimenter la machine.

Robbins vole aux riches pour… leur rendre leurs objets volés après

Les pickpockets ne se voient pas confier ce mandat : dans la foule, en pleine rue ou dans un transport public, ils s’arrogent eux-mêmes le droit de nous libérer de nos possessions matérielles. Le pickpocketisme est une branche à part entière de la magie : des illusionnistes de renom ont construit des numéros entiers sur la capacité à plumer les spectateurs montés sur scène. Leur talent repose sur un usage savant des techniques de détournement d’attention, qui passe par le contrôle du débit de leur parole et le recours au boniment (notre attention est captée par leur discours), l’application de points de pression sur différentes parties du corps (lorsqu’une zone est compressée, elle devient insensible pendant une courte période), le choix de déplacer leurs mains selon une courbe ou une ligne droite (l’œil n’a pas besoin de suivre intégralement un déplacement rectiligne, car il prévoit à tout moment la trajectoire de la main, mais ce n’est pas le cas avec pour un geste courbe)…

Apollo Robbins, surnommé le « gentleman thief », est connu pour avoir dépouillé des membres du Secret Service attachés à la sécurité de l’ancien président états-unien Jimmy Carter, en 2001 : en quelques minutes, il avait récupéré un document détaillant l’itinéraire du président, ainsi qu’un badge, une montre ou encore des clés de moto !

Bref, si un politicien vous tient le bras, pensez à vérifier après coup que votre montre se trouve toujours à votre poignée. On ne sait jamais.

Néanmoins, il y a lieu de se rassurer : toucher les Français, ce n’est pas un exercice dans lequel notre président actuel excelle. Emmanuel Macron est plutôt du genre à se prendre une claque. Ce qui est toujours mieux que le candidat Zemmour : novice en politique, l’écrivain ne maîtrise apparemment l’usage que d’un seul doigt. À l’inverse, Jacques Chirac, en son temps, ne dédaignait pas les interactions tactiles. Au Salon de l’agriculture, on le sait, il n’aimait rien tant que tâter le cul des vaches (parce que les Français sont des veaux ?).

Et l’on se souvient que son coup de sang le plus mémorable survint lors d’un voyage officiel à Jérusalem, en 1996. Agacé que le service d’ordre israélien l’empêche de saluer les passants qui venaient à sa rencontre, il s’emporta contre l’un des membres de la sécurité, dans une tirade passée à la postérité. Il avait compris que, pour prendre le pouls de la population et rester proche des gens, il est indispensable de maintenir avec eux un lien physique.

Les poignées de main jouent également un rôle diplomatique déterminant. Attention, toutefois, à ne pas aller trop loin : se montrer trop tactile reflète aussi un manque de tact, et le comportement parfois déplacé de Joe Biden aurait pu lui coûter la présidence des États-Unis !