Le contrôle de l’esprit (1/2) : les messages subliminaux
Si Emmanuel Macron n’a pas abordé le sujet de sa candidature à l’élection présidentielle, lors de sa prise de parole du mercredi 2 mars, plusieurs journalistes (ici ou là) ont vu dans ses propos des messages « subliminaux » adressés aux électeurs. L’usage du terme subliminal est sans doute impropre, comme souvent : les commentateurs semblent moins faire référence à un stimulus conçu pour être perçu au-dessous du seuil de conscience des téléspectateurs qu’à une notion plus générale de sous-texte, de sous-entendu, de communication implicite. Mais l’on peut néanmoins se poser la question : les propos des politiciens ont-ils une influence inconsciente sur les préférences, les attitudes et les actions de ceux qui les écoutent ? Leurs paroles ont-elles le pouvoir de nous hypnotiser au point d’agir, peut-être, à l’encontre de nos propres intérêts ? En Ukraine, le président Zelensky suggère qu’une forme d’« auto-hypnose » dissuade les membres de l’OTAN de s’engager plus avant dans la protection de son pays. Des images subliminales à l’hypnose en passant par le magnétisme animal et les pouvoirs de suggestion, les illusionnistes peuvent-ils oui ou non influer sur nos actions ?
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En 1988, un journaliste d’investigation jette un pavé dans la mare à quelques mois de l’élection présidentielle : le générique du journal de 20h d’Antenne 2, l’ancêtre de France 2, afficherait furtivement le visage de François Mitterrand, le président sortant, candidat à sa réélection. L’affaire ira jusqu’au procès : la chaîne de télévision a-t-elle tenté d’orienter le vote de son public en recourant à des images subliminales ?
De même, en l’an 2000, l’un des spots publicitaires du candidat George W. Bush, aux États-Unis, fait apparaître les lettres « RATS », pendant un court instant, au moment d’évoquer le concurrent démocrate Al Gore. La suite du spot révèle que les quatre lettres correspondent à la fin du mot « BUREAUCRATS » (aucun rapport avec le trolling du magicien Nevil Maskelyne, donc), et les créateurs de la vidéo plaideront l’erreur technique.

Ces images ont-elles pu avoir un effet indirect sur le comportement des téléspectateurs ? Les premières recherches portant sur la perception subliminale datent de la fin du XIXe siècle. Il faudra cependant attendre les années 1950 pour que le sujet accède à la notoriété publique : en 1957, le chercheur en marketing James Vicary prétend avoir observé une augmentation des ventes de pop-corn et de Coca Cola de respectivement 58 % et 18 %, dans une salle de cinéma, après avoir exposé les spectateurs à une « publicité subliminale » de son invention.
Il s’avère que le véritable coup marketing de Vicary consistait en cette annonce elle-même : pour se positionner comme consultant et vendre des prestations liées à cette nouvelle forme de publicité, il a menti sur ses résultats et fabriqué ses chiffres. Les techniques de perception subliminale feront néanmoins l’objet de recherches dans le cadre du programme MK-ULTRA de la CIA, dont nous avons déjà parlé pour ses recherches peu éthiques sur les moyens de contrôler l’esprit humain.

Les fantasmes se heurtent à la réalité : les recherches expérimentales n’ont jamais permis de mettre en évidence davantage que des effets très limités, pour une fenêtre d’exposition très étroite – car si l’exposition au message est trop courte, ce dernier n’est pas perçu, tandis que si elle dure trop longtemps, la perception devient tout à fait consciente. D’où le verdict du procès intenté pour « manipulation électorale » dans l’affaire Antenne 2 : la durée d’affichage de l’image était trop longue pour que l’on puisse parler de communication subliminale. Ce qui n’empêchera pas le législateur de décréter par prudence, en 1992, l’interdiction de la publicité clandestine et des « techniques subliminales », c’est-à-dire qui ont pour objectif d’atteindre le subconscient du téléspectateur par l’exposition très brève d’images.
Entendons-nous bien : la perception subliminale est un phénomène largement observé et documenté. Ce qui fait l’objet de débat est le type de comportements qui peuvent être influencés. Par exemple, avoir été amorcé par l’exposition à une certaine réponse (chiffre, mot, visage…) pourrait permettre de répondre plus rapidement à certains types de question (quizz, test de reconnaissance d’expression faciale…), probablement parce que l’exposition rend la réponse plus accessible en mémoire, ce qui facilite ensuite son invocation. Mais ces effets semblent trop légers et nécessiter des conditions de réalisation trop strictes pour être utilisés à des fins de propagande publicitaire ou politique à grande échelle. Et dans le domaine de la magie, ça ne fait pas de doute : pour contraindre le choix d’un spectateur tout en lui donnant une illusion de libre arbitre, il existe des techniques de forçage bien plus puissantes.

En politique, le forçage peut simplement consister à jouer sur l’information à laquelle le public est exposé. Marteler pendant des années l’existence d’un problème lié à l’islam et l’immigration, par exemple, permet d’imposer sa vision dans le débat public… Au risque de se retrouver pantois lorsque le sujet ne prend plus, soudainement, parce que l’attention se focalise par exemple sur un conflit brûlant !
Eric Zemmour au salon de l’agriculture : « L’affrontement entre les frères russes et ukrainiens nous distrait des problèmes fondamentaux. L’immigration, le terrorisme, les pays africains au bord du collapse. Les problèmes civilisationnels sont au sud. » pic.twitter.com/YSbk4XE0v1
— Camille Vigogne LC (@Camille_Vigogne) March 4, 2022
Quid de l’hypnose ? N’est-elle pas censée permettre une certaine forme de contrôle de l’esprit ? Les spectacles de Messmer le « fascinateur » et le recours à l’hypnose ne prouvent-ils pas la réalité du phénomène ? Nous en parlerons une prochaine fois !