En réaction à la guerre déclenchée en Ukraine par le président russe, les pays occidentaux font pleuvoir les sanctions sur les soutiens du régime, à commencer par les oligarques, accusés de s’être enrichis sur le dos de la population avec la bénédiction du Kremlin. En les frappant au portefeuille, les dirigeants politiques d’Europe et des États-Unis espèrent les forcer à se retourner contre Vladimir Poutine. Rien ne garantit cependant que la stratégie portera ses fruits : les milliardaires savent dissimuler leur fortune par des mécanismes sophistiqués mêlant prête-noms et montages financiers. Ceux qui se nourrissent de la corruption abritent leur patrimoine derrière des cascades de sociétés offshore, qui sont autant d’écrans de fumée visant à compliquer la remontée des flux financiers. L’argent détourné transite ainsi à travers une kyrielle de paradis fiscaux, de Chypre aux Bahamas en passant par Malte et les Îles Vierges britanniques… Oubliez Harry Houdini : les meilleurs avocats fiscalistes sont les véritables rois de l’évasion.

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L’illusionniste David Kotkin est plus connu sous le nom de scène qu’il s’est choisi : David Copperfield. Si, dans l’œuvre de Charles Dickens, l’enfant rebelle et désargenté qui porte ce nom connaît une ascension sociale indéniable, sa réussite est sans commune mesure avec celle du célèbre magicien. Son succès commercial lui a permis de s’acheter une île des Bahamas pour 50 millions de dollars, Musha Cay, qu’il a transformée en complexe hôtelier pour touristes fortunés – avec table de billard ayant appartenu à Houdini, plages secrètes et même un village caché…

La saisie d’un yacht au port de La Ciotat
(hommage à l’un des premiers films de Méliès)

David Copperfield a toujours apprécié les destinations de rêve : on se souvient que l’un de ses tours extraordinaires, le « Portail », permettait à un membre du public de se « téléporter », en plein milieu du spectacle, sur une plage de sable fin… Et l’artiste partageait sans doute son attrait pour les archipels paradisiaques avec son ex-femme, Claudia Schiffer : l’ancienne mannequin fut épinglée dans le scandale des Pandora Papers pour ses sociétés domiciliées dans les Îles Vierges britanniques.

Nous avons déjà évoqué les faux transferts permettant aux prestidigitateurs de feindre le passage d’un objet d’une main à l’autre, une technique notamment employée pour donner l’illusion de « multiplier les pièces ». Mais, parfois, c’est justement parce que les pièces se multiplient et que l’argent fait des petits que l’on vient à s’enquérir des moyens de transférer son patrimoine en toute discrétion, de peur que le Trésor public ne cherche à prélever une partie du pactole.

Pour le prochain confinement, pensez à Musha Cay, l’île de Copperfield

Une entreprise internationale soucieuse de réduire le montant total de son imposition dispose d’une solution pour faire passer ses bénéfices d’un pays à l’autre : l’astuce des prix de transfert. Supposons qu’une multinationale détienne une filiale française qui a réalisé 100 millions d’euros de profit dans le pays. Pour éviter d’être taxée à 33% sur ces bénéfices, cette filiale facture une prestation du même montant à la filiale irlandaise de l’entreprise-mère.

Au 31 décembre, la filiale française n’a donc aucun profit à déclarer, car c’est la filiale irlandaise qui présentera des profits de 100 millions d’euros, taxés au taux modeste de 12,5%, soit plus de 20% d’économie (20 millions par an !). Et l’entreprise-mère a donc diminué d’autant le montant global de ses impôts. Bien sûr, nous avons simplifié le mécanisme, mais vous avez compris l’idée – et si vraiment vous souhaitez découvrir d’autres façons d’escamoter des profits, renseignez-vous sur ces tours de passe-passe au nom baroque de « double irlandais » et de « sandwich hollandais » !

LE sketch à l’origine de ce site ?

Un tel jeu (truqué) de vases communicants nous fait irrémédiablement penser au bonneteau, cette arnaque de rue bien connue dans laquelle un escroc vous propose de gagner de l’argent en pariant sur la position d’une carte de couleur mélangée avec deux autres. La dextérité du bonneteur garantit qu’il vous dépouillera même si vous croyez avoir suivi pas à pas les opérations de mélange.

Des techniques similaires sont employées dans le jeu des gobelets, qui est peut-être le plus vieux tour de magie au monde (les historiens ne savent pas si la scène apparaissant sur une fresque égyptienne datant de 2000 avant J.-C. illustre bel et bien une représentation du jeu). Dans ce numéro d’adresse, une muscade donne l’impression de voyager « magiquement » d’un gobelet à l’autre à chaque fois que le bonimenteur s’exclame « passez, muscade ! »

L’Escamoteur, attribué à Jérôme Bosch, se fait doublement rouler

De nos jours, la noix de muscade ou la petite boule de liège est souvent remplacée par une balle, mais l’effet reste incroyablement puissant : il est si facile de détourner notre attention que Penn & Teller n’hésitent pas à proposer une version de la routine avec des verres en plastique transparent !

Les plus cyniques d’entre vous feront un parallèle avec les transferts sociaux sur lesquels repose notre système de solidarité nationale. Tous les mois, une partie des dépenses, des revenus ou du patrimoine de chaque Français est transformée en cotisations, taxes et impôts pour alimenter le système. Mais lorsque vient le moment de se faire rembourser une opération médicale, de toucher le chômage ou de profiter de sa retraite, on soulève le gobelet, et l’on découvre qu’il n’y a plus rien…

À Malte, le Premier ministre Joseph Muscat a dû quitter son poste sur fond de soupçons de corruption : « Passez, Muscat ! »

Au début, pourtant, on a tout fait pour nous mettre en confiance, on nous a laissé gagner un peu pendant quelques tours, on nous a fortement incités à croire qu’il était raisonnable de parier sur le système. Et c’est justement parce que nous étions en confiance que nous nous sommes fait avoir. L’argent a été escamoté : nous pouvons toujours courir après, nous ne le retrouverons jamais. Nous avons payé pour notre naïveté.

Où sont partis les billets verts ? Budget des ministères, traitements des fonctionnaires, intérêt de la dette, redistribution sociale, aides aux entreprises, déductions fiscales pour les patrons milliardaires ? Officiellement, personne ne le sait. Mais un indice pourrait nous mettre sur la piste : dans le métier, les complices du bonneteur sont appelés les « barons »…

Comment appelait-on l’ancien patron des patrons, déjà ?

Et, au fait, si par malheur l’envie vous prenait de vous révolter, sachez qu’il y a toujours des gros bras dans les parages pour vous faire renoncer à l’idée !