Le sexe, rien qu’une histoire de contraste ?
Lorsque Brigitte Macron, l’épouse du président de la République, ne se laisse pas coiffer par un certain Éric Zemmour, elle s’investit dans la lutte contre le harcèlement, en particulier sur internet. Un fléau dont elle est elle-même victime : depuis quelques mois, une théorie du complot accuse la Première dame d’être un homme ayant changé de sexe. La propagation de rumeurs aussi ouvertement transphobes contraste avec les progrès en cours dans la reconnaissance des droits des personnes transgenre, qui se base sur une réalité scientifique : il existe différentes façons de définir le sexe (génétique, anatomique, hormonal, social, psychologique…). Ce qui n’a pas empêché les internautes les plus vicieux d’éplucher les photos officielles de Brigitte Macron pour y détecter des traits ou attributs masculins. Lorsqu’on observe un visage, de fait, à quoi reconnaît-on qu’on a affaire à un homme ou une femme ? Une illusion d’optique permet de jeter une lumière crue sur un élément inconscient permettant d’éviter la confusion des genres : le contraste.
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Observée bien l’image ci-dessous, classée troisième au prix de l’illusion de l’année 2009. D’après vous, laquelle des deux figures est celle d’un homme, et laquelle est celle d’une femme ?

Si vous avez répondu comme les participants à l’expérience montée par le psychologue Richard Russell, vous aurez identifié la figure de gauche comme étant celle d’un homme, et celle de droite comme étant celle d’une femme. Pourquoi ? Vous n’en avez sans doute pas conscience.
L’image a été générée de façon à ce que la peau des deux figures aient la même luminosité : si vous vous adonnez au jeu des sept erreurs, les seules différences que vous trouverez entre les deux figures portent sur la luminosité des yeux et des lèvres. En effet, yeux et lèvres sont plus foncés à droite qu’à gauche, ce qui implique que le contraste entre la peau et le triangle formé par les yeux et les lèvres est plus fort à droite qu’à gauche.
Dans l’étude qu’il consacre à la place du contraste dans la perception des visages, le chercheur rappelle en effet que la peau des femmes est en moyenne plus claire que celle des hommes, pour un même groupe ethnique (ce qui ne veut pas dire que le visage dans son entier soit perçu comme plus clair, justement à cause du rôle joué par les yeux et les lèvres). Les expériences décrites permettent de tirer les conclusions suivantes :
- Il y a une différence entre hommes et femmes en ce qui concerne le contraste des yeux et des lèvres par rapport à la peau (on parle de « dimorphisme sexuel ») : les visages féminins sont en moyenne plus contrastés que ceux des hommes
- Plus un visage est contrasté, plus on a tendance à le percevoir comme féminin
- Comme il était déjà établi que plus un visage de femme est jugé féminin, plus il est décrit comme beau, on en déduit que plus un visage féminin est contrasté, plus il est perçu comme beau… Et puisque le maquillage féminin sert justement à rendre plus sombres les yeux et les lèvres, c’est au moins l’une des raisons pour lesquelles les visages maquillés peuvent nous paraître plus beaux : le maquillage féminin exagère le dimorphisme sexuel naturel !

Attention, ce qui précède ne signifie pas que le contraste soit le seul critère que nous prenions en compte : outre la différence de luminosité de la peau que nous avons déjà mentionnée, il existe par exemple des éléments morphologiques, c’est-à-dire liés à la forme du visage, que nous intégrons plus ou moins consciemment pour émettre un jugement intuitif sur le sexe d’une personne dont nous voyons le visage.
Les plus curieux d’entre vous se demanderont sans doute si l’image de départ utilisée par le psychologue représentait un homme ou une femme. Les publications citant les résultats des expériences se contentent généralement de qualifier le visage d’« androgyne », mais qu’est-ce donc qu’un visage androgyne ? Il faut remonter à la source, c’est-à-dire à l’étude originale, pour bien comprendre la façon dont l’image a été obtenue : elle a été synthétisée à partir de plusieurs portraits d’hommes et de femmes moyennés par morphing !
Dès lors, quand le célèbre magicien Garcimore répétait qu’il fallait être « décontrasté », nous invitait-il sans le savoir à renoncer à un peu de féminité ?
À en croire les conspirationnistes, ce n’est pas le choix opéré par Brigitte Macron. En septembre 2021, dans une obscure publication, une journaliste autoproclamée accuse la Première dame d’avoir été assignée homme à la naissance. Son frère Jean-Yves Trogneux n’existerait pas : Brigitte serait née Jean-Yves avant de changer de sexe (et de prénom). En novembre, la théorie du complot est développée dans une longue interview avec une prétendue médium (souvenez-vous de notre mise en garde vis-à-vis de ceux qui font parler les morts…). La théorie connaîtra le succès sur Twitter en décembre en étant largement relayée sur des groupes anti-vaccins ou conspirationnistes.
Ce n’est malheureusement pas la première fois que l’épouse d’un président, ou carrément une cheffe d’État elle-même, doit faire les frais d’une campagne de désinformation sexiste : Michelle Obama ou Jacinda Ardern ont également eu droit à des rumeurs remettant en cause leur sexe. Espérons que ces attaques odieuses n’influeront pas sur la façon dont les magiciennes souhaitent exprimer ou non leur féminité !