Le nouveau procès qui devait s’ouvrir aujourd’hui pour Claude Guéant a été renvoyé au mois d’octobre 2022, à la dernière minute, pour raisons médicales. Tout juste remis en liberté conditionnelle, l’ancien ministre de l’Intérieur reste en effet traumatisé par ses deux mois d’incarcération pour non-paiement de ses dettes dans une autre affaire : son séjour à la prison de la Santé lui a esquinté la santé. Celui qui fut secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy devait être jugé pour « escroquerie » pour le remboursement des frais de sa campagne législative de 2012, dont il était malgré tout sorti perdant. De François Fillon à Patrick Balkany en passant par l’ancien président lui-même, les condamnations pleuvent sur les grandes figures du quinquennat Sarkozy. Si sa longue liste de coupables en fait peut-être l’une des histoires les plus emblématiques, l’affaire Bygmalion concerne également une escroquerie liée à des frais de campagne… Pour un résultat électoral tout aussi nul. Voyons comment le parti soutenant Nicolas Sarkozy a su jouer avec ses cartes d’adhérent pour contrôler ses fonds, à la façon dont un magicien contrôle les cartes dans le jeu pour mieux faire illusion.

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En magie des cartes, ou « cartomagie », la levée double consiste à saisir deux cartes à la fois en donnant l’impression de n’en manipuler qu’une seule. C’est une technique très utile pour réaliser de nombreux tours, et les puristes distinguent la levée double à proprement parler, dans laquelle on saisit deux cartes ensemble, et le retournement double, pour lequel les deux cartes soulevées sont retournées sur le haut du paquet afin que ce soit en réalité la seconde dont on montre la face aux spectateurs (cette opération est généralement suivie d’un nouveau retournement double afin de remettre les deux cartes dans le même sens que les autres). La levée double fait partie des techniques de contrôle qui permettent au prestidigitateur de savoir à tout moment où se trouvent une ou plusieurs cartes clé au sein du paquet, au même titre que les faux mélanges, les faux comptages ou encore les empalmages.

L’« effet Bygmalion » : le simple fait de croire dans le succès
de quelqu’un… améliore surtout ses chances d’aller en prison

Quel tour pendable les personnages reconnus coupables à l’issue du procès Bygmalion ont-ils réalisé lors de la campagne perdante de Nicolas Sarkozy, en 2012 ? La routine complète serait longue à décrire, car plutôt complexe ; elle mobilise justement une bonne partie du répertoire cartomagique : mélange de (fausses) factures, faux comptages (fausse compta, en tout cas), empalmages (par l’agence de com’ des copains, cette société Bygmalion dont les dirigeants étaient proches du président de l’UMP, Jean-François Copé)…

Pour faire simple, disons qu’une partie de l’équipe soutenant le candidat de l’UMP avait établi une double comptabilité afin de faire face à l’explosion des dépenses de campagne. Il y avait d’un côté les dépenses « officielles », effectuées par l’Association pour le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, qui ne seraient remboursées par l’État que si elles restaient inférieures à un certain plafond (22,5 millions d’euros). Et, de l’autre, les dépenses directement imputées à l’UMP, correspondant aux sommes au-delà du plafond légal (une vingtaine de millions supplémentaires). De quoi se payer le double des prestations autorisées !

Mais le pot aux roses est découvert, les comptes de campagne invalidés par le Conseil constitutionnel et, en conséquence, le remboursement de la moitié des frais du candidat Sarkozy totalement annulé. Comment l’UMP, ainsi privée de 11 millions d’euros, allait-elle pouvoir combler le trou dans ses caisses ?

Pygmalion et Galatée : attention à ne pas tomber amoureux de sa création

Les grands magiciens ont plus d’un tour dans leur sac : il a suffi aux dirigeants du parti de demander à leurs adhérents d’y aller d’une petite donation, une opération vite moquée sous le nom de « Sarkothon ». Les militants avaient beau avoir déjà été mis à contribution pour la présidentielle, ils ont abondé les comptes du parti sans rechigner, à l’été 2013, et le montant de 11 millions d’euros a vite été atteint. Et voilà comment on effectue une double levée de fonds !

Au passage, notons que l’État a sans doute financé une partie de cette somme, qu’on le veuille ou non, puisque certaines des personnes ayant donné au Sarkothon ont pu bénéficier de réductions d’impôt de 66% sur leur don. Enfin, en 2015, pour éviter que les électeurs continuent à associer le grand parti de la droite à l’affaire Bygmalion (et autre affaire Woerth-Bettencourt), l’UMP change de nom : le parti s’appellera désormais « Les Républicains ». Le tour est joué : on a effacé toute trace de l’infamie dans l’esprit des Français !

Quant au procès Bygmalion, treize des quatorze condamnés ont fait appel du jugement en octobre 2021, dont Nicolas Sarkozy. Affaire à suivre !