La faculté de lire dans les pensées, voilà un don qui en fait rêver plus d’un… Non seulement chez les amoureux transis, mais aussi chez les politiciens : s’ils savaient ce qu’il se trame dans la tête des électeurs, n’auraient-ils pas de meilleures chances d’accéder au pouvoir ? Les illusionnistes ont appris à jouer de ce fantasme en feignant de maîtriser les secrets de la télépathie. Le véritable secret au cœur de leurs tours nous offre une perspective originale sur les différents moyens de communiquer un message. Un secret dont se sont déjà emparés les diplomates les plus rodés !

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Les Français Myr et Myroska se produisent dans les music-halls à partir des années 1940 avec un numéro de télépathie en duo appelé à les rendre célèbres. Tandis que Myroska se tient sur scène, les yeux bandés, Myr s’avance parmi les spectateurs, leur emprunte carte d’identité, carte de crédit ou tout autre objet personnel (montre, PV de stationnement, notice pharmaceutique…), et demande à sa partenaire de lui indiquer les informations qui y sont inscrites (nom, âge, numéros, montant d’une amende, composition chimique d’un médicament…). Myroska s’exécute et parvient à chaque fois à fournir la bonne réponse, même lorsqu’il s’agit d’une expression aussi baroque que « fumarate de stéaryle sodique » !

Leur popularité sera telle qu’elle inspirera à Hergé la prestation de madame Yamilah et du fakir Ragdalam, dans l’aventure de Tintin des 7 boules de cristal… Et donnera naissance au fameux sketch du « Sâr Rabindranath Duval », de Pierre Dac et Francis Blanche.

« Il peut le dire ! » (une blague reprise
jusque dans un rapport public de 2013)

Le duo extraordinaire avait coutume de terminer ses représentations par la formule « S’il n’y a pas de truc, c’est formidable, mais s’il y en a un, reconnaissez que c’est encore plus fort. » Bien qu’ils aient prétendu n’avoir aucun pouvoir extra-sensoriel et ne recourir à aucun trucage, nous nous sentons obligés de vous avouer que c’est forcément l’option du « c’est encore plus fort » qui recueille nos faveurs : le « truc » n’a pas été découvert, soit, mais il y en avait un.

Selon la légende, André Myr avait d’abord travaillé à Paris comme journaliste et chansonnier. En 1941, fuyant la capitale pour échapper au service du travail obligatoire qui devait l’envoyer en Allemagne, il rencontre Marie-Charlotte Baron dans un village d’Aquitaine. La future « Myroska » est la fille du charcutier local, et c’est avec elle qu’André décide de concevoir l’illusion qui fera leur renommée. Ils la répèteront jusqu’à la fin de la guerre et donneront leur première représentation à Bordeaux en 1944.

Nous avons d’autant plus de raisons de soupçonner l’existence d’un truc que le couple formé par Myr et Myroska s’inscrivait dans une longue lignée de duos télépathes, qui remonte peut-être jusqu’au XVIIIe siècle. L’Italien Pinetti aurait réalisé un numéro de transmission de pensée à Londres dès 1784, mais il faudra attendre les spectacles de Robert-Houdin pour observer les premières démonstrations publiques de « seconde vue », cette capacité supposée à percevoir des informations autrement que par les cinq sens les plus communs.

Tant d’hommes rêvent de lire dans l’esprit des femmes !

Et ce sont les époux Zancig qui, au tournant du XXe siècle, donneront sa forme actuelle au numéro de mentalisme. Leur routine parviendra à duper de nombreux adeptes du spiritisme, convaincus d’avoir affaire à des individus doté de pouvoirs paranormaux. Citons par exemple, parmi ces croyants si crédules, la figure d’Arthur Conan Doyle (dont nous aurons l’occasion de reparler, tant le créateur de Sherlock Holmes était loin d’être un expert en rationalité !).

Julius Zancig dévoila les secrets de la performance dans un article publié en 1924 : le couple avait mis au point un code verbal sophistiqué associant des mots précis aux chiffres et aux lettres de l’alphabet. Chaque question que le mari adressait à son épouse Agnès transmettait plus d’information qu’une seule interrogation : la formulation de la requête incluait déjà la réponse, cachée dans l’emploi des termes choisis.

Par exemple, pour deviner la première lettre d’un mot, Julius pouvait demander à Agnès : « je veux la lettre » (dans le cas de la lettre A), « allez, donnez-moi la lettre » (B), « pouvez-vous me donner la lettre » (C)… Puisque le sens des propositions est identique, elles peuvent être aisément remplacées l’une par l’autre. Pour aller plus loin, ils auraient même pu s’amuser à jouer sur l’ordre des termes (les « allons », « s’il vous plaît », « ma chère », etc.).

Maintenant y a des techniques plus modernes
pour deviner des choses sur les gens…

On appelle « stéganographie » l’ensemble des techniques permettant de dissimuler un message dans un autre. Le monde du renseignement a toujours cherché à développer cet art de la dissimulation, qui repose sur les différents niveaux de lecture d’un même support de communication. Ainsi, savez-vous qu’il est possible de cacher une image numérique (ou tout autre information) dans une autre image numérique ? L’œil humain ne perçoit qu’une image normale, sans se rendre compte que les bits de poids faible constituant le fichier recèlent en réalité d’autres données à décoder.

En 1966, les Viet Cong demandèrent à un prisonnier de guerre états-unien, Jeremiah Denton, de participer à un entretien télévisé de propagande, dans lequel le soldat devait expliquer qu’il n’était pas soumis à des sévices en détention. Tout en répondant aux questions posées, le futur sénateur de l’Alabama parvint à transmettre en morse le mot « torture »… Simplement en clignant des yeux !

Décidément, le morse plaît aux hackers !

Cette capacité à faire passer un message secret au nez à la barbe des autorités qui contrôlent une opération de communication aurait sans doute pu servir lors d’autres entretiens contraints… Interviewée par des journalistes de L’Équipe, la tenniswoman Peng Shuai, qui avait accusé l’ancien vice-Premier ministre chinois d’agression sexuelle en novembre dernier, n’a fait que nier l’évidence : « je n’ai pas disparu » (elle n’avait pourtant effectué aucune apparition publique pendant deux semaines) et « je n’ai jamais dit que quiconque m’avait fait subir une agression sexuelle » (affirmation à mettre en regard de son message posté le 2 novembre sur le réseau social Weibo : « en proie à la peur et au trouble […], j’ai cédé, et nous avons eu un rapport sexuel »).

Les journalistes n’ont pas été dupes, qui reconnaissent avoir lu en elle davantage que ce qu’elle laissait transparaître : au-delà de son ton monocorde, « sans émotion », presque « robotique », ils ont « perçu dans son langage corporel, dans ses regards, à la fois des moments où elle s’est un peu éteinte, […] notamment à chaque fois qu’[ils ont] posé des questions sur l’affaire, et des moments où elle était très chaleureuse, quasiment dans une forme d’appel, notamment au travers du regard, au travers de ses “merci” qu’elle donne à la fin. »

Avec les ambassadeurs, tout est une question d’angle de vue

C’est dans le domaine des relations internationales que l’on trouve les usages les plus raffinés d’un code verbal complexe : le langage diplomatique est une construction subtile dans laquelle chaque mot est soigneusement soupesé. Quand un diplomate écrit qu’il « se dit préoccupé », qu’il « exprime sa préoccupation » ou même « une vive préoccupation », il n’envoie pas le même signal. Si nous n’avons pas été formés à ce langage, nous n’y sommes pas sensibles, mais ceux qui sont au fait de ces nuances subtiles savent les déchiffrer.

En début de semaine, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine ont ainsi rivalisé de finesse dans le compte-rendu de leurs échanges. Tandis que la plupart des commentateurs s’écharpaient sur le sens à donner à la longueur de la table autour de laquelle s’est tenu l’interminable tête-à-tête, peu se sont penchés sur la subtilité du vocabulaire mobilisé par les deux chefs d’État pour rendre compte de leurs discussions.

Quand le président Macron évoque des « termes de convergence » avec Poutine, ce dernier estime que « certaines idées » et « certaines propositions » pourraient « jeter les bases d’avancées communes ». Les choses n’étant pas tellement plus claires, « nous allons poursuivre le travail », dit l’un, puisqu’il faut que le dialogue se poursuive « pour bâtir des solutions avec l’objectif de la sécurité de tous », abonde l’autre. Espérons que ces subtilités n’échappent pas à leur destinataire, car la guerre est à nos portes !