Les marches du pouvoir : du puits sans fond au plafond de verre
Le monde des illusions d’optique est peuplé de figures impossibles éclairant d’un jour nouveau la politique française. Attardons-nous aujourd’hui sur l’un de ses spécimens les plus célèbres : l’escalier de Penrose… Métaphore des ascensions vouées à l’échec, ou des descentes aux enfers qui n’en finissent plus ?
♠ ♥ ♣ ♦
Comme le blivet dont nous avons déjà parlé, l’escalier de Penrose est un objet impossible, c’est-à-dire une représentation en deux dimensions (2D) d’une construction qu’on imagine avoir trois dimensions (3D), mais qui ne pourrait justement pas exactement en 3D, car elle briserait alors les lois de la physique. L’objet prend la forme d’un escalier sans fin : que vous le parcouriez dans le sens montant ou descendant, vous pourrez toujours continuer à avancer.

Il s’agit d’une variation du triangle de Penrose conçu dans les années 1950 par le mathématicien et physicien Roger Penrose : son père, le généticien Lionel Penrose, s’empare de la construction pour en proposer cette version bien connue des fans du film Inception. Déjà découverte par l’artiste suédois Oscar Reutersvärd, elle est réinterprétée par l’artiste néerlandais Maurits Cornelis Escher dans la lithographie Montée et descente, qui dépeint des moines en pénitence perpétuelle sur les marches… Ce M. C. Escher que nous évoquions déjà dans notre article sur la théorie du ruissellement, car sa Chute d’eau n’est elle-même qu’une autre réinterprétation du triangle de Penrose !
Le fonctionnement de l’illusion repose donc sur des principes déjà décrits : aucune erreur ne nous saute aux yeux lorsque l’on observe indépendamment les différentes parties de la figure, mais l’incohérence apparaît dès que l’on tente de l’appréhender dans sa globalité. Il faut comprendre qu’une infinité d’objets en 3D peuvent avoir la même projection en 2D : face à une représentation en 2D, notre cerveau doit donc nécessairement effectuer un travail d’interprétation, s’il souhaite « remonter » à l’objet en 3D, en sélectionnant parmi les différentes possibilités la construction qui lui paraît la plus plausible.
Ajoutons également qu’il existe une version auditive de l’illusion, que nous vous invitons à écouter dans la vidéo ci-dessous : la gamme de Shepard, créée en 1964 par le psychologue Roger Shepard, donne l’impression d’une gamme qui monte ou descend infiniment.
L’escalier de Penrose a-t-il son pendant dans le monde politique ? « Pen-rose » : côté « Pen », on ne peut s’empêcher de penser au concept du plafond de verre longtemps présenté comme un obstacle à la progression de la famille Le Pen : s’il existe, l’extrême droite ne pourra jamais atteindre les plus hauts niveaux du pouvoir. Marine Le Pen peut progresser dans les sondages, on peut agiter le spectre de son arrivée à la présidence autant qu’on veut, elle ne fera que monter infiniment… Mais jamais suffisamment.
Côté « rose », c’est la fleur associée au Parti socialiste (PS) qui nous vient à l’esprit : le PS ne s’est jamais remis du quinquennat de François Hollande, et sa candidate à la présidentielle dégringole tant dans les sondages que les cadres du parti s’interrogent sur sa survie. Rappelons en effet que si Anne Hidalgo recueille moins de 5% des votes au premier tour, sa campagne ne sera pas remboursée, ce qui affectera les finances du parti, déjà exsangues, et rendra impossible le financement des candidats socialistes aux législatives de juin… Pour éviter le cimetière, on voit des éléphants commencer à se rapprocher de la majorité présidentielle.
Un grand ministre a eu cette expression … Nous sommes au bord du gouffre et nous allons faire un grand pas en avant .. Fais en tienne … https://t.co/T1idu7YFVf
— Julien Dray (@juliendray) February 9, 2022
Tandis que l’on se demande quand le PS touchera le fond, qu’en est-il de Marine Le Pen ? Son ascension est-elle oui ou non soumise à des contraintes invisibles ? La candidate l’assure : le « plafond de verre » n’existe plus. À l’en croire, le front républicain a vécu – les responsables de droite n’appelleront plus à faire barrage aux candidats de son parti. Sa stratégie de dédiabolisation a fonctionné, et seule la concurrence d’Éric Zemmour saurait encore entraver sa marche vers le pouvoir. Alors qu’elle dit se présenter à la présidentielle pour la dernière fois, elle accuse Éric Zemmour de se battre non « pas pour gagner, mais pour tuer le Rassemblement national » (RN) dans la perspective d’une recomposition future de la droite, cette « union des droites » fantasmée par le polémiste.
L’analyse de Marine Le Pen est-elle valide, ou bien la présidente du RN est-elle portée sur les actes performatifs, comme son père, à marteler des idées pour influer sur les décisions des Français ? Depuis le deuxième tour de la présidentielle de 2002, les membres de la famille Le Pen servent de repoussoir pour appeler les électeurs au « vote utile », c’est-à-dire à donner leur voix au candidat qui a le plus de chances de gagner face au FN ou au RN. Si bien que certains experts se demandent si la menace de la montée de l’extrême droite n’est pas uniquement brandie pour conforter le statu quo et placer au pouvoir des responsables qui ne remettront jamais en cause le système actuel.
« Depuis trente ans, on nous fait craindre le retour du fascisme… C’est du théâtre ! »
Le géographe Christophe Guilluy, dans un entretien donné ici

Si le plafond de verre interdit effectivement l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République, si elle ne sera jamais en capacité d’attirer sur son nom plus de 50% des votants parmi les électeurs, on peut tout à fait s’interroger sur les motivations de ceux qui s’ingénient à agiter l’épouvantail et jouer constamment sur nos peurs… Mais c’est bien la question qui se pose ici : l’extrême droite peut-elle oui ou non accéder à la direction du pays ?