Les politiciens qui estiment avoir été les premiers à porter une idée l’affirment souvent : « Les Français préfèreront toujours l’original à la copie ». Mais serait-ce seulement pour se rassurer ? Est-il avéré que l’on privilégie systématiquement les pionniers ? Comme nous l’avons vu la dernière fois, le fait que Chung Ling Soo se soit largement inspiré de son rival Ching Ling Foo ne l’a pas empêché de connaître le succès. En magie comme en politique, quelle place accorde-t-on au plagiat ? Mettre en avant la circulation « naturelle » des idées permet-il d’échapper au débat ?

♠ ♥ ♣ ♦

C’est dans un discours prononcé le 1er avril 1990 que nous avons retrouvé la première trace de l’utilisation par Jean-Marie Le Pen de la phrase « les gens préfèrent l’original à la copie » ; le leader du Front national y critiquait alors les propos de Valéry Giscard d’Estaing. Il reprendra la formule suite au mémorable discours de Jacques Chirac du 19 juin 1991, dans lequel le président du RPR fustigeait « le bruit et l’odeur » censés rendre fou le travailleur français vivant en HLM. Jean-Marie Le Pen la prononcera encore une fois avant l’élection présidentielle de 2007, cette fois-ci pour discréditer Nicolas Sarkozy.

Mais a-t-il jamais cru à la réalité exprimée par l’aphorisme, ou bien ne cherchait-il qu’à s’en convaincre lui-même ? En martelant l’énoncé, se livrait-il à un acte performatif visant à influer subtilement sur les choix des Français ? L’effet de la répétition est difficile à déceler, car les avis divergent sur les préférences réelles du citoyen lambda.

Le film Le Prestige nous entraîne dans des réflexions vertigineuses sur la copie et la notion de double… En étant lui-même tiré d’un livre

Pour certains observateurs, banaliser les idées de l’extrême droite réduit le stigma associé au vote pour ses représentants, et permet donc aux électeurs de sauter le pas plus facilement. Pour d’autres experts, au contraire, reprendre à leur compte les positions les plus radicales permet aux responsables politiques de droite modérée de ramener dans leur giron les électeurs tentés par le vote extrême (dans une démarche assez méta d’auto-plagiat, l’auteur du dernier article cité recycle son analyse cinq ans plus tard – et réitère au passage l’erreur consistant à dater le premier emploi de l’expression au discours de Chirac sur « le bruit et l’odeur »).

Si bien qu’il est très délicat de trancher sur la question. Il y a tant d’éléments qui entrent en compte dans le choix d’un candidat qu’il est difficile de démêler ce qui, dans le suffrage d’un électeur, pourrait relever de sa tendance à favoriser le premier promoteur d’une idée. Nous pouvons a priori envisager qu’il existe une « prime à la sincérité perçue », en vertu de laquelle celui des candidats qui aura soutenu une proposition plus longtemps sera vu comme plus crédible dans sa volonté de la voir advenir… Mais quand bien même cette affirmation serait vérifiée, les candidats défendent trop d’idées à la fois pour mesurer précisément le poids de chacune d’elles dans la décision d’un électeur.

Non seulement c’est une reprise, mais c’est une mauvaise idée

Ce qui est sûr, c’est que le plagiat, dans le monde politique, est une pratique courante. Et nous ne parlons pas des simples emprunts ayant permis à quelques politiciens filous de valider leur thèse de doctorat – un fléau qui a déjà conduit à des démissions de représentants politiques à l’étranger, mais jamais en France, ou même les CV gonflés ou bidonnés provoquent des scandales limités.

Quand Jean-Marie Le Pen récupère des pans d’un ancien discours, sa fille Marine emprunte ses phrases à François Fillon. Quand Éric Zemmour n’est pas montré du doigt pour avoir pompé le logo de Jean Lassalle (une « querelle de juristes », sûrement, pour reprendre la réponse dédaigneuse du candidat aux accusations de violation de droits d’auteur dans la vidéo de lancement de sa candidature), c’est son dernier livre dont l’on juge le propos calqué sur un ouvrage de Jean-Marie Le Pen paru en 1985. Nul procès ne saurait pourtant être intenté dans ce dernier cas : le droit d’auteur protège les mots et les images, mais pas les idées.

Dans la cour de récréation, Marine Le Pen et Éric Zemmour se chamaillent d’ailleurs pour savoir qui copie sur qui. Si leur proximité a sans doute facilité le passage de Jean Messiha du parti de l’une à l’équipe de campagne de l’autre, le chroniqueur a lui-même été épinglé pour de nombreux copiés-collés dans ses écrits ! Inquiet du projet d’« union des droites » du polémiste devenu candidat, les Républicains veillent au grain, qui s’autorisent à aller piocher dans les mesures les plus radicales préconisées par leurs concurrents.

Dans le monde de la magie, on se bat aussi pour la paternité des idées qui fonctionnent. Nous avons déjà cité quelques exemples fameux de litiges liés à la propriété intellectuelle de secrets magiques, du brevet de Marconi empêchant Nevil Maskelyne de communiquer par radio avec ses assistants à l’appropriation éhontée par Horace Goldin du tour de la femme coupée en deux… Auquel il aura néanmoins donné une couleur toute particulière, il faut bien l’avouer. Dans les années 90, David Copperfield poursuivra en justice l’un de nos compatriotes, Yves Barta, dont le numéro de lévitation ne lui permettait pas de rester au-dessus des lois : l’ancien steward fut condamné pour lui avoir volé le tour du vol !

Indépendamment des considérations juridiques et morales, l’art magique se nourrit incontestablement de la capacité des illusionnistes à améliorer les tours imaginés par d’autres. Définir le nombre d’altérations à partir duquel une routine est à ce point modifiée qu’elle constitue un nouveau tour est souvent malaisé (une « querelle de juristes », on vous dit !). Plus que le nom ou le caractère novateur d’un tour, ce qui compte est l’adéquation de la routine au style et à la personnalité du magicien : les bons illusionnistes savent adapter à leur univers les numéros mis au point par leurs collègues les plus créatifs.

Certains artistes de l’illusion se satisfont très bien de n’avoir jamais rien inventé : en interprètes plus ou moins scrupuleux, ils s’emploient à mettre en musique les tours conçus par d’autres. Et l’on peut légitimement se demander s’il n’en va pas de même en politique : certains politiciens semblent à ce point disposés à endosser les idées de ceux qui les soutiennent que leur prestation ne se résume finalement qu’à jouer une sinistre partition