Les anneaux chinois : « plus vite, plus haut, plus fort – ensemble »
Si la traduction officielle de la devise olympique, depuis 2021, est « plus vite, plus haut, plus fort – ensemble », la devise spécifique des Jeux d’hiver s’ouvrant à Pékin se rapproche encore davantage d’un slogan politique : « ensemble pour un avenir commun ». On peut cependant s’interroger sur la volonté de vivre « ensemble » d’un pouvoir chinois qui enferme les participants dans des bulles sanitaires, et se demander si l’« avenir commun » comprend les États dont les dirigeants soutiennent le boycott diplomatique de la cérémonie d’ouverture (et si un « avenir » est seulement envisageable, quand on s’autorise à modifier les limites d’un parc naturel et utiliser 100% de neige artificielle pour assurer la compétition…). Les anneaux olympiques, censés symboliser l’union des nations, ne seront jamais autant apparus comme les maillons d’une chaîne dont il est difficile de se libérer. En magie, le tour des « anneaux chinois » joue pourtant sur la capacité apparente d’un ensemble de cercles métalliques à s’unir et se séparer, au mépris des lois de la physique. La vie politique est elle-même rythmée par le jeu des unions et des divisions, qui atteint son paroxysme en période d’élection : à quelles trahisons et quelles alliances impossibles les politiciens sont-ils prêts à consentir pour s’emparer de l’anneau de pouvoir ?
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Vous avez déjà vu ce grand classique de la magie : un prestidigitateur se présente sur scène avec des anneaux métalliques qui nous paraissent indépendants ; après quelques tours de passe-passe, ils se retrouvent enclavés, pris les uns dans les autres pour former une chaîne ; quelques tours de main supplémentaires, et les cercles brillants sont à nouveau séparés.
On recense de nombreuses variantes de la routine, qui diffèrent par le nombre et la taille des anneaux, mais ont en commun de nous donner l’illusion que la matière parvient à passer à travers la matière. Par exemple, la version « McAbee Rings » implique de petits bracelets dorés, et l’on se demande comment les époux Balkany vont réussir à passer au travers de la prison sans finir en macchabées, maintenant qu’ils sont privés de leur bracelet !
On appelle ce tour les « anneaux chinois », voire les « anciens anneaux chinois » (Ancient Chinese Linking Rings), sans que l’on sache vraiment si son origine est à chercher en Chine. Des théories contradictoires font remonter sa création jusqu’au premier siècle, dans des régions aussi variées que la Rome Antique, l’Égypte, la Turquie, l’Inde ou le Moyen Orient.
Au XIXe siècle, le magicien français Philippe, de son vrai nom Jacques André Noël Talon, prétend avoir appris le tour d’une troupe de jongleurs chinois, et c’est sans doute ce qui rend compte de sa dénomination. En mai 2016, le magicien Max Maven consacre un article du magazine Genii à un livre japonais publié en 1764, Hokasen, contenant une routine nommée « Les anneaux de fer » : ce serait l’explication écrite la plus ancienne.
Un livre français du milieu du XVIIe siècle évoquerait une démonstration du tour. Et un siècle plus tôt, le savant italien Jérôme Cardan mentionnait déjà une performance de rue dont on se demande si elle correspond ou non à une démonstration similaire…

Bref, on peut pousser assez loin l’exercice consistant à retrouver la première trace des anneaux chinois. La plupart des spécialistes s’accordent cependant à dire que celui qui a donné au tour sa forme actuelle, à la fin du XIXe siècle, c’est Ching Ling Foo, le premier grand magicien chinois aux États-Unis.
Quel est le truc ? Nous n’entrerons pas dans les détails, d’autant plus que divers gimmicks peuvent être employés, mais vous imaginerez sans peine que l’un au moins des anneaux ne doit pas être un cercle de métal parfait : il dissimule une ouverture permettant d’y glisser les autres (et certains de ces autres anneaux ne sont-ils pas déjà entrelacés ?). Or le monde politique offre un spectacle de même nature : il est fréquent de voir des adversaires, des rivaux qui se disent incompatibles, voire des indépendants chérissant leur autonomie, finir par s’unir et faire campagne ensemble.
Nous vous l’accorderons, ce phénomène est peut-être plus difficile à observer à gauche. La Primaire populaire du week-end dernier n’a ainsi fait qu’avaliser l’ajout d’un nom à la longue liste des prétendants au pouvoir suprême, au lieu de pousser à l’union les candidats déjà déclarés. C’est uniquement grâce au désistement récent d’Arnaud Montebourg qu’on a pu observer une dynamique de recomposition dans les équipes de campagne, les ex-soutiens du candidat choisissant de rejoindre Anne Hidalgo ou Fabien Roussel.

Face à cette alliance impossible des forces de gauche, certains à droite en appellent ouvertement à l’« union des droites » – ou à l’« union de la droite », pour d’autres. Éric Zemmour se félicite d’avoir attiré à lui les politiciens les plus faiblement liés à leur partie : ses prises de guerre incluent Gilbert Collard, chipé au Rassemblement national, et Guillaume Peltier, l’ancien numéro deux des Républicains (qui avait déjà démarré sa carrière politique à l’extrême droite, certes). Le manque de loyauté met certains candidats sur les nerfs : Marine Le Pen peste contre les défections au sein de son parti et s’impatiente que certains de ses soutiens n’aient toujours pas tranché, à commencer par son propre porte-parole !
« Ceux qui veulent partir partent, mais ils partent maintenant. Ce qui est insupportable c’est la taqîya, en quelque sorte, qu’ils reprochent eux-mêmes aux islamistes. […] la taqîya, c’est la dissimulation »
Marine Le Pen, dans une vidéo à voir ici
Si la valse des ralliements, pour l’heure, semble avant tout agiter l’extrême droite, l’explication est bien la même que pour les anneaux chinois : c’est parce que la masse des soutiens d’un candidat ne compose pas un bloc d’un seul tenant que le politicien retors trouvera toujours une faille par laquelle s’engouffrer. D’ailleurs, comment s’appelle la maison d’édition fétiche des auteurs d’extrême droite, qui est sur le point de disparaître ? Ring !

Au sein des Républicains, malgré les départs, on essaye de serrer les rangs : Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez et Pécresse ont habilement mis en scène leur réconciliation. Il ne faudrait pas que les conflits d’égo et la concurrence interne empêchent le succès du tour de magie…
Car, comme aux Jeux olympiques, la compétition est parfois féroce. En parallèle du magicien Ching Ling Foo se produisait un dénommé « Chung Ling Soo », qui avait copié de nombreux tours de son rival, dont les anneaux chinois. Selon la formule souvent répétée en politique, les spectateurs préféraient-ils l’original à la copie ? Lequel des deux pouvait-il prétendre au titre de seigneur des anneaux ? Nous nous pencherons la prochaine fois sur ce personnage tout à fait fascinant de Chung Ling Soo !
Pour aller plus loin (et plus vite, plus haut, plus fort…) : comment la présidence de l’Assemblée nationale a réussi à éviter l’examen d’un second texte sur le risque de génocide des Ouïgours en Chine, ce qui aurait assurément fait tache le jour de l’ouverture des Jeux de Pékin