Flash vs. subtilité : l’art d’envoyer des signaux (de fumée ?)
La communication politique se passe parfois de mots, même à l’écrit. Une image savamment conçue peut transmettre un message précis. De même, les bons magiciens savent envoyer des signaux subtils qui provoquent la réflexion. Leurs manipulations bénéficient du pouvoir de suggérer sans dire ou sans montrer explicitement, afin que le spectateur se berne lui-même en adhérant trop vite à des raisonnements biaisés. Mais il ne faudrait pas croire que la communication soit toujours maîtrisée : les bévues sont courantes, et le public peut finir par voir ce qui était censé rester caché. Du « flash » non désiré à la « subtilité » contrôlée, voyons comment les politiciens utilisent le support papier pour nous parler.
♠ ♥ ♣ ♦
Sur Twitter, Emmanuel Macron se contente d’une publication dépourvue de texte pour s’auto-congratuler d’avoir mené à bien l’ouverture du pass Culture aux jeunes de 15 à 17 ans : le tweet n’inclut qu’une photographie léchée, centrée sur un post-it posé sur un sous-main en cuir. Outre les quelques mots qu’on imagine rédigés de la main même du président, il ne faut pas louper les quatre livres empilés à côté du carré de papier jaune. Les Mémoires de Charles de Gaulle y côtoient un ouvrage plus difficile à raccrocher à la culture française : un tome du manga japonais One Piece.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 31, 2022
En effet, les esprits les plus cyniques ont déjà renommé le pass Culture en « pass manga », au vu des succès en librairie depuis l’instauration de la mesure gratifiant les jeunes de 18 ans d’un crédit de 300 euros pour l’achat de biens culturels. Est-il si judicieux de se réjouir qu’une mesure pour la culture enrichisse moins les artistes français que des groupes étrangers ?
La hantise de tout magicien débutant, c’est de « flasher », c’est-à-dire d’exposer accidentellement un secret, par maladresse, en laissant voir aux spectateurs ce dont ils ne sont pas censés avoir connaissance. Les politiciens ne sont évidemment pas immunisés contre ce genre de bourde. En 2014, au sortir d’un conseil des ministres, Christiane Taubira se défend d’être informée des détails des écoutes visant Nicolas Sarkozy dans l’enquête sur le financement de sa campagne présidentielle de 2007. En guise de preuve, celle qui est alors ministre de la Justice brandit deux lettres passées par les services du procureur général de Paris, que les photographes ont tôt fait de « flasher »… Car leur contenu, facilement lisible sur les photos, contredit les déclarations de la ministre : les dates auxquelles ont été effectuées les interceptions judiciaires y sont bien inscrites !

La sortie du conseil des ministres concentre apparemment les dangers. Le 22 juillet 2020, c’est le Premier ministre Jean Castex qui sort sur le perron de l’Élysée, une pile de dossiers sous le bras, avant de se faire « flasher » par les photographes de presse… Qui se feront un main plaisir d’exposer le contenu de la note manuscrite plaquée sur les dossiers : « Finalement, on a trouvé un os à ronger supplémentaire pour le jeune Gabriel ? » Une référence très probable à l’ambitieux Gabriel Attal : dans le cadre du remaniement qui était alors en discussion au plus haut niveau du gouvernement, il était question d’assigner de nouvelles responsabilités à son jeune porte-parole. Chou blanc, cependant : une deuxième phrase apparaissait sur la note, écrite d’une autre main, pour répondre qu’« Il est difficile d’avoir 40 ministres et secrétaires d’Etat et une mission à détacher pour le porte-parole ».
[Jeu estival] «Finalement,on a trouvé un os à ronger supplémentaire pour le jeune Gabriel [Attal]?» « Non… »
— Paul Larrouturou (@PaulLarrouturou) July 22, 2020
Oups, Jean Castex montre aux photographes un petit mot écrit pendant le conseil des ministres d’aujourd’hui.
Saurez-vous lire la réponse et reconnaître l’écriture?🕵🏻♂️ pic.twitter.com/dGzjlYWRf2
Et s’il ne s’était agi que d’une forme subtile de communication politique ? En magie, on qualifie de « subtilité » une action accomplie négligemment, avec nonchalance, pour inciter le spectateur à éliminer une explication possible.
Par exemple, un prestidigitateur tenant en main un jeu dont toutes les faces sont blanches peut avoir placé une carte normale sur le haut du paquet, et par un mouvement discret donner à voir cette carte de couleur. Dans ce cas, il fait exprès de ne pas attirer l’attention sur ce signal qu’il envoie, mais espère néanmoins qu’il sera perçu comme il se doit. Une semaine après son erreur présumée, le facétieux Jean Castex sort sur le perron de l’Élysée avec une nouvelle note manuscrite : « Vous ne m’aurez pas une deuxième fois ! »

Pour clore le tour, le Premier ministre aurait même pu recourir au « papier flash », cet accessoire de magicien qui se consume en un éclair, sans laisser de trace. Le gimmick est fabriqué en nitrocellulose, dont 5000 tonnes se trouvent enfouies depuis la Grande guerre près de l’ancien site AZF, à Toulouse… Un dossier dont a justement choisi de s’emparer un certain Jean Castex !