L’argent magique : des faux transferts au faux (coup de) pouce
À l’approche des élections, Emmanuel Macron a ouvert les vannes, et l’argent coule à flots : depuis l’été 2021, le gouvernement n’a de cesse de promettre aux Français de beaux cadeaux. Chaque sortie du chef de l’État devient prétexte à l’annonce d’un nouvelle mesure budgétaire : tout secteur d’activité en difficulté et tout segment de population éprouvé a droit à son coup de pouce financier. Le président s’est mué en un prestidigitateur capable de multiplier les pièces : l’argent magique inonde la table de jeu ! Est-ce à dire que le système repose sur une économie de casino ? Par quel miracle les euros peuvent-ils ainsi sortir du chapeau ? Et, surtout, qui bénéficie finalement de tout ce numéro ?
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En septembre dernier, en moins de trois semaines, le président promettait plus de 6 milliards d’euros d’aides : 2 milliards d’euros pour la rénovation énergétique, 1,5 milliard pour la ville de Marseille, 600 millions pour le chèque énergie, 600 autres millions pour les agriculteurs victimes de catastrophes climatiques, 500 millions pour la sécurité… Et puis non, ce n’était pas suffisant : ce seront finalement 15 milliards d’euros qui seront investis dans les cinq ans pour moderniser police et gendarmerie ! N’en jetez plus : Macron fait feu de tout bois, Macron dépense à tout-va. Ou promet de le faire, ce qui n’est pas tout à fait pareil.

La situation est d’autant plus cocasse que le chef de l’État assurait une aide-soignante, il y a trois ans, qu’« il n’y a pas d’argent magique ». Lointain écho d’assertions de sinistre mémoire (« il n’y a pas d’alternative » et « pas de repas gratuit »), la formule a poursuivi Emmanuel Macron tout au long de la crise des gilets jaunes et des aléas de la pandémie.
Car, vous voyez, ma bonne dame, on n’a rien sans rien, tout le monde doit bosser, chacun perçoit des revenus à hauteur de sa contribution et de son utilité. L’argent se mérite ; il doit être dépensé ou investi pour faire tourner l’économie et irriguer la société. Il n’y a pas de raccourci, le système est juste et personne ne peut tricher…
s’étonne du « pognon de dingue » finalement déniché par le président
Et puis en fait si, d’un claquement de doigt, ceux qui ont la main sur le budget parviennent finalement à produire cet argent qui à les croire n’existait pas. Il devait être enfoui dans une poche où ils n’avaient pas regardé. Toujours est-il qu’ils trouvent moyen d’injecter massivement des liquidités.
C’est qu’il faut prévenir le risque d’une crise systémique. Éviter le défaut de paiement. Préserver l’euro. Soutenir une économie mise à genoux par la pandémie. On se souvient des plans de sauvetage élaborés pour lutter contre les ravages du Covid : 750 milliards d’euros par-ci, 1 900 milliards de dollars par-là… Les chiffres ne veulent plus rien dire ; on nous promettrait un plan à mille milliards de milliards que ça ne nous choquerait même pas.
c’est l’heure de l’argent pour tous !
Pour comprendre la mécanique de ces tours de passe-passe, il faut distinguer le niveau de l’État français de celui de l’Union européenne, et plus précisément de sa banque centrale. Quand un prestidigitateur nous fait croire que les pièces croissent et multiplient, la seule chose qu’il multiplie vraiment, ce sont les « transferts » : l’argent nous semble passer de main en main parce que l’illusionniste enchaîne les « faux dépôts », qui impliquent souvent des « empalmages ».
En effet, lorsqu’il nous donne l’impression de laisser tomber une pièce de sa main droite dans sa main gauche (« faux dépôt »), une manipulation habile lui permet en réalité de conserver la pièce dans sa main droite (« empalmage »). À l’inverse, lorsqu’il fait mine de prendre de sa main droite une pièce qu’il tient au bout des doigts de sa main gauche, il peut laisser tomber la pièce dans le creux de sa main gauche (« disparition au tourniquet »). Combiner ces techniques en s’attachant à chaque fois à reproduire le « mouvement vrai » permet de créer l’illusion d’une prolifération des pièces à partir d’un nombre réduit d’unités.

Comment ces méthodes sont-elles mises à profit par la Banque centrale européenne pour produire de l’« argent magique » ? Ceux d’entre vous qui ont des rudiments de théorie monétaire savent que ce sont les dépôts qui créent la monnaie. Une banque privée ne se contente pas de prêter l’argent placé sur le compte de ses clients : elle génère aussi de la monnaie à partir de rien en octroyant des prêts. Il y a un moyen simple de le vérifier : l’en-cours des prêts à un instant donné, c’est-à-dire le montant total que la banque est couramment en train de prêter, est supérieur à la somme d’argent dans ses coffres. Il y a des limites réglementaires sur la quantité d’argent qu’une banque peut créer, mais restons simple.
Tout se passe donc comme si des dépôts « virtuels » permettaient à une banque privée de prêter de l’argent. Pour « activer la planche à billets », comme on dit, nul besoin de tronçonner des arbres ou de fondre des pièces de monnaie : une banque centrale encourage la création monétaire en stimulant la croissance de ces « faux dépôts » dans les banques privées. Bien sûr, faire chauffer la planche à billets n’est pas sans risque : certains observateurs nous mettaient en garde dès 2020 contre les risques d’inflation – on y est !

Pour équilibrer son budget, chaque État a la possibilité d’emprunter sur les marchés, c’est-à-dire de s’endetter lui-même auprès d’acteurs privés. Si les taux d’intérêt sont bas (voire négatifs !), l’argent est suffisamment abondant, il peut emprunter facilement. Et c’est ensuite par ce qu’on appelle les « transferts sociaux » que le gouvernement peut orienter les flux vers ceux qui en ont le plus besoin. Par exemple, pour soutenir le pouvoir d’achat, le gouvernement a encore annoncé cette semaine une revalorisation du baromètre kilométrique et un filet de sécurité pour les indépendants.
Sauf que la machine n’est pas parfaitement huilée. Nous l’avons déjà noté : le ruissellement de l’économie est une vue de l’esprit. Les euros surabondants ne s’écoulent pas jusque dans votre portemonnaie parce qu’ils disparaissent en cours de route entre les mains d’autres acteurs. Une étude de l’Institut des politiques publiques confirme ainsi que les pauvres sont ceux qui ont le plus pâti du mandat de Macron, tandis que les ultra-riches se sont gavés : ils finissent toujours par « empalmer » une bonne partie de chaque stimulus financier. À l’instar du faux pouce utilisé par le prestidigitateur pour dissimuler un objet dans sa main (dans le métier, un « FP »), les aides versées par l’État ne sont-elles donc que des faux coups de pouce ?

Finalement, qui profite le plus du desserrement des cordons de la bourse ? Eh bien… La Bourse, justement ! Le CAC 40 ne s’y trompe pas, qui atteint des sommets inégalés depuis l’époque précédant l’explosion de la bulle internet. Enfin, les choses commencent à tanguer un peu, car les taux d’intérêt entament leur remontée.
Si bien que, pour une fois, nous pouvons peut-être deviner comment le tour de magie finira : à défaut de nous serrer la ceinture, nous avons intérêt à bien nous y accrocher !