Extrême gauche et extrême droite, même combat ?
Le ministre de l’Intérieur annonce aujourd’hui l’arrestation du dirigeant des Zouaves, ce groupuscule d’extrême droite accusé d’actions violentes lors du meeting d’Éric Zemmour à Villepinte le 5 décembre. À peine désignée candidate par les Républicains, Valérie Pécresse avait notamment réagi aux attaques contre les militants antiracistes en soulignant que « l’extrême gauche peut parfois être ultraviolente dans un meeting ». Elle avait d’ailleurs renvoyé dos à dos extrême gauche et extrême droite dès juin 2021 : « L’extrême gauche […] me paraît aujourd’hui dans une dérive qui la rend aussi dangereuse pour le pays que l’extrême droite ». Pourtant, dans son baromètre annuel de l’image du Rassemblement national, l’institut de sondage Kantar Public montre que les Français ne partagent pas son avis : 62% voient Éric Zemmour comme un danger pour la démocratie, et 50% ont la même vision de Marine Le Pen, contre seulement 29% pour Jean-Luc Mélenchon (soit moins que pour Emmanuel Macron, à 31% !). Les forces aux extrémités de l’échiquier politique sont-elles de même nature ? Et, si oui, par quelle illusion pourrions-nous ne pas le voir ?
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Observez bien le dessin ci-dessous : que vous le vouliez ou non, vous ne pourrez pas vous empêcher de voir les cases A et B de couleur différente… Alors que, croyez-le ou non (mais vous n’avez pas besoin de nous croire, puisque vous pouvez le vérifier par vous-même !), elles sont d’une teinte strictement identique.

Cette illusion d’optique, connue sous le nom d’échiquier d’Adelson, a son pendant en politique : certains pensent qu’une partie située (très) à gauche de l’échiquier politique n’est pas perçue comme aussi sombre qu’elle l’est réellement, parce qu’elle se tient bien sagement à l’abri d’une grande force verte, l’écologie… Ou peut-être l’islam ! Leur mot d’ordre : sus aux islamogauchistes !
L’illusion est plus impressionnante encore lorsque l’on met l’échiquier à plat. Ci-dessous, la nuance de gris de la case A devrait vous paraître différente de celle de la case B, mais c’est à nouveau une erreur.

Notre cerveau ne peut s’empêcher d’interpréter les perceptions de nos sens : il ne les livre jamais à notre conscience telles qu’il les reçoit initialement. Pour évaluer une couleur, il prend en compte le contexte. Une teinte entourée d’une couleur claire paraît plus foncée que la même teinte entourée d’une couleur sombre : c’est l’illusion de contraste simultané, qui repose sur une loi mise en évidence par le chimiste Michel-Eugène Chevreul.
Aussi, habitué à observer des scènes placées sous des éclairages variés, ne serait-ce que parce que les objets peuvent y projeter des ombres différenciées, le cerveau s’applique à respecter un principe de « constance perceptuelle » : il recalcule en permanence l’image à nous faire voir, en fonction de notre vécu et de nos expériences passées, afin que nous ayons l’impression de percevoir des objets unis et cohérents.
En reconnaissant le quadrillage classique d’un échiquier, le cortex visuel s’entête ainsi à reconstruire l’image avec une alternance systématique de cases noires et blanches. Comme dans la Chute d’eau de M.C. Escher, dont nous avons déjà parlé, les petites erreurs s’accumulent pour faire les grandes rivières : dans l’illustration ci-dessus, le cerveau ne voit pas l’assombrissement progressif des cases, colonne par colonne, de droite à gauche.

L’effet est renforcé par l’arrière-plan : en se figurant qu’un éclairage lumineux est placé à droite (alors qu’il ne s’agit que d’un jeu de dégradé sur la couleur de fond), le cerveau est encore plus incité à croire que les cases à gauche seraient « naturellement » plus claires, en pleine lumière, que ce qu’il perçoit réellement, tandis que celles à gauche seraient plus sombres.
Nous pouvons d’ailleurs nous contenter de jouer avec le contexte pour une version plus « extrême » encore de l’illusion : aussi étonnant que cela puisse paraître, sur l’image qui suit, la barre au centre est de couleur unie sur toute sa longueur ! Vous pouvez cacher l’arrière-plan pour vous en convaincre. Ce n’est donc que l’environnement qui vient colorer – ou plutôt affecter notre perception de la couleur – de la partie au centre.

Foncièrement, considérer qu’extrême droite et extrême gauche sont de même nature revient donc à accuser ceux qui ne voient pas les choses ainsi d’être victimes d’une illusion. Une illusion de contraste liée au contexte : si tous les Français étaient exposés au même arrière-plan historico-culturel, uni, sans nuances, quadrillé de lignes rigides permettant de voir les choses en noir et blanc, alors nul ne douterait que, des deux côtés de l’échiquier, c’est bonnet blanc et blanc bonnet…
L’autre possibilité ? Que ceux qui contestent l’équivalence aient effectivement le sens de la nuance, et que leur vision des choses soit à peu près équilibrée. Auquel cas, si différence de perception il y a, c’est uniquement parce que les deux extrêmes sont bel et bien différents. Alors, que croirez-vous : illusion de contraste, ou illusion… D’illusion ?
Indépendamment de la réponse à cette question, les candidats soucieux de jouer le jeu de la démocratie gagneront à dénoncer les fantasmes de violence armée de leurs militants, qu’ils soient d’un bord ou de l’autre.