Tandis que la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, parle de « ressortir le Kärcher de la cave » (suscitant l’ire du fabricant), on nous annonce, par une référence malheureuse à la stratégie allemande de 1939, que la campagne d’Emmanuel Macron prendra la forme d’une guerre éclair, une « blitzkrieg ». Recycler des concepts et jouer avec les mots pour traduire une posture relève-t-il de l’imposture ? C’est sans doute le numéro auquel se livrent le plus souvent les magiciens politiques, pourtant, car c’est l’un des plus faciles. Et la posture martiale est fort prisée : mobiliser le champ lexical de la guerre et assortir son discours de figures de style bien choisies permet d’exprimer force et volonté à peu de frais. Voyons donc de quelle façon l’illusion peut se nicher dans les discours guerriers.

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La boîte à outil du magicien inclut invariablement l’un ou l’autre « gimmick », c’est-à-dire un objet secrètement utilisé pour produire un effet. Les puristes anglophones distinguent même le gimmick, un accessoire censé rester invisible pendant la performance (nous ne mentionnerons pas ici le faux pouce ou l’enrouleur), du « gaff », un objet usuel exposé à la vue de tous, mais dont le fonctionnement recèle un secret (c’est-à-dire qu’il n’est pas ce qu’il semble être, ou bien qu’il contient un compartiment caché, par exemple – et non, nous ne parlons pas de ce gaff-là, qui sert à cacher tout autre chose, ne faites pas la gaffe !).

Un simple objet truqué peut servir à déclencher une guerre… Mais bon, Tony Blair reconnaîtra une « gaffe » (sic !)

Toutefois, le mot gimmick prend un sens différent dans le champ de la communication : il y désigne une spécificité du langage ou du comportement propre à identifier singulièrement son auteur. C’est l’expression récurrente (« ben voyons »), la tournure qui marque les esprits (« moi président de la République »), le mot choisi qui garantit, une fois prononcé, qu’on ne parlera plus que de lui : « abracadabrantesque » (qui se souvient encore du contexte dans lequel la formule magique fut lancée ?).

Gimmick! Gimmick! Gimmick! (A war after midnight)

Or Emmanuel Macron l’a dit (ici) et redit () : « En France, tout commence par les mots ». Ce qui explique probablement son goût prononcé pour les gimmicks, du fameux « en même temps » apparu dès 2017 au « quoi qu’il en coûte » de la période de pandémie… Car notre président tend justement à muscler son recours aux figures de style dès qu’il bascule dans un mode offensif.

La guerre, c’est pratique, on peut la déclarer à ce qu’on veut

Les discours belliqueux du chef de l’État font la part belle aux anaphores. Le 16 mars 2020, à la veille du premier confinement, il l’affirme six fois dans son allocution télévisée : « Nous sommes en guerre ». Le 11 novembre 2021, son hommage aux Compagnons de la Libération répète une question rhétorique : sans ces résistants ayant lutté pour arracher la patrie à la domination nazie, « serions-nous là ? »

Ne pas confondre le « Serions-nous là » macronien avec
le « Seras-tu là » de celui qui n’est malheureusement plus là


C’est encore une fois le grand Charles, bien sûr, qui avait donné l’exemple :

« Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! »

Charles de Gaulle, à voir ici

Bref, la posture de combat appelle fréquemment l’utilisation du gimmick de répétition : la récurrence doit certainement évoquer à nos politiciens le bruit des bottes de ceux qui marchent au pas



Pour aller plus loin : le temps de la campagne présidentielle, le politologue Clément Viktorovitch analyse la rhétorique des magiciens politiques dans une chronique à écouter tous les jours de semaine sur Franceinfo