L’élection présidentielle, le choix équivoque ultime ?
Au soir du 24 avril 2022, nous devrions savoir qui sera pour cinq ans notre nouveau président. Deux mois plus tard (il ne faudrait pas l’oublier, voire se poser la question de la hiérarchie des élections à privilégier…), nous voterons derechef pour désigner nos députés. Dans l’attente de ces grands rendez-vous démocratiques, on s’échauffe par l’organisation de primaires (ici ou là), congrès (là-bas) ou tout autre forme de scrutin originale… C’est au terme de l’un de ces processus de sélection que Les Républicains ont choisi Valérie Pécresse plutôt qu’Éric Ciotti pour représenter leur parti. Mais dans pareille situation, en réalité, pour quoi vote-t-on ? À quoi exactement servira notre décision ? Les magiciens ne l’ignorent pas : ce qui compte réellement, c’est de donner l’illusion du choix.
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Imaginez-vous face à un illusionniste, qui place trois objets sur une table (nous les noterons A, B et C). Pour que son tour fonctionne, il souhaite vous donner l’impression d’avoir librement choisi l’objet C. Pour ce faire, il commence par vous demander : « Quel objet choisissez-vous parmi les trois présentés ? »
Si vous répondez immédiatement C, l’artiste s’en saisit et l’affaire est dans le sac : « Parfait, vous avez donc librement choisi cet objet. » Sinon, si vous choisissez A (ou B), le magicien poursuit : « Très bien, vous avez donc choisi de mettre de côté l’objet A (ou B). » Il prend alors l’objet B (ou A) dans une main, et C dans l’autre, et vous pose une seconde question : « Parmi les deux objets qui restent, lequel choisissez-vous ? » Si vous répondez C, il répondra « Vous choisissez donc de me faire garder celui-ci », et c’est gagné, tandis que si vous optez pour B (ou A), il conclura : « Vous choisissez donc de rejeter celui-là. » Bref, quels que soient vos choix, vous aboutirez à une situation dans laquelle le magicien finit avec le seul objet C en main.

En lisant cette description, vous avez forcément saisi l’astuce : à chaque étape, votre choix est libre, sauf que vous ne savez pas vraiment ce que vous choisissez, c’est-à-dire que vous ne savez jamais à quoi servira votre réponse. On parle de « choix équivoque » : le magicien ne donne aucune visibilité au spectateur sur ce qu’il fera de ses choix. Cette technique lui permet ainsi de réaliser un « forçage », c’est-à-dire de contraindre l’issue d’un processus de décision tout en laissant croire qu’il était entièrement libre.
Et c’est exactement la même chose lorsque l’on va voter : on glisse un nom dans une urne (ou un bulletin avec une liste de noms), mais au fond, pour quoi faire ? On ne connaît pas suffisamment les détails des problèmes que nos dirigeants politiques auront à régler. On est loin d’en saisir tous les tenants et aboutissants. Et les plus grosses crises qu’ils auront à gérer n’ont peut-être même pas encore éclaté ! Seront-ils à la hauteur face à l’éclatement d’une bulle financière, la répétition d’actes terroristes ou bien la survenue d’une pandémie ? Lorsqu’on sait enfin pour quoi on a voté, il est trop tard pour revenir sur son choix…
Car c’est le moment où le dirigeant politique conclut le tour de magie amorcé lors des dernières élections, que l’on avait déjà oublié ! On se souvient vaguement avoir sorti une carte (d’électeur), apposé notre signature dans un coin, glissé un papier dans une enveloppe… Et c’est là que le politicien nous remet l’évidence sous le nez, en nous rappelant le mandat qu’on lui a confié : « Voici la carte blanche que vous m’avez signée ! »
Le politicien prend son élection pour un blanc-seing. Le temps de sa mandature, c’est chat perché : son immunité le protège, il fait ce qu’il veut, on ne peut rien y changer. « Vous avez signé pour ça, donc si vous êtes pas contents, vous attendez encore cinq ans, et vous voterez mieux la prochaine fois, na ! »

Mais ça ne passe pas auprès de tout le monde ; certains opposants sont particulièrement remontés, des alliés plus ou moins proches émettent des doutes, et même des juges ou des journalistes curieux lancent des investigations de mauvais augure. Il faut agir.
Heureusement, l’illusionniste a plus d’un tour dans son sac.
Peut-être avez-vous déjà vu l’une de ces démonstrations de mentalisme dans lesquelles trois ou quatre spectateurs ont le choix de s’asseoir librement sur des chaises. Après un enchaînement de hasards « fortuits », on découvre que celui des spectateurs que la routine a désigné, si possible le plus sceptique ou le plus récalcitrant, est justement celui qui s’est assis sur la « bonne » chaise, celle sous laquelle se trouve une enveloppe avec la révélation ultime. Ce genre de tour, qu’on appelle un « chair test » dans le métier, repose également sur une forme de choix équivoque.
Le politicien retors en maîtrise une variante : il fait asseoir à une table tous ceux qui lui cherchent des noises, claque des doigts, demande à chacun de regarder sous sa chaise, et tous ceux qui y trouvent une belle enveloppe repartiront le bec cloué !

En parlant d’enveloppe, une autre affaire nous revient en mémoire. Début 2021, les députés découvraient que leur « dotation matérielle », une enveloppe budgétaire allouée aux frais de téléphonie, de taxis/VTC et d’affranchissement du courrier, avait augmenté de 15%, pour atteindre près de 22 000 € par an ! La décision était d’autant plus étonnante que rares sont les députés qui utilisent plus de la moitié de cette somme – dont il faut bien comprendre qu’elle n’est pas directement versée sur leur compte, mais représente un plafond de dépenses autorisé.
Contrairement à ce que les mauvaises langues pourraient insinuer, tous les élus ne se sont pas réjouis de la nouvelle, conscients du signal envoyé au contribuable en période de crise. Qui avait osé prendre cette décision ? Les questeurs de l’Assemblée, à deux contre un. Parmi les deux questeurs favorables au changement, l’un était de gauche, et l’autre de droite, député du parti Les Républicains. Un certain… Éric Ciotti !