Histoires de fantômes : les différentes façons d’invoquer les défunts
Tous ceux qui utilisent des techniques issues de l’art magique ne se présentent pas forcément comme des illusionnistes. À l’instar des fakirs dont nous avons déjà parlé, les magiciens les moins honnêtes affirment posséder de véritables dons, comme celui d’entrer en contact avec les trépassés, voire d’invoquer leurs fantômes pour qu’ils interagissent avec nous. Les politiciens s’imaginent généralement dotés de telles facultés : non seulement ils croient pouvoir communiquer avec les esprits, mais ils prétendent savoir ce que pensent nos aïeuls, et même servir de conduit à l’expression de nos héros disparus ! Comment s’y prennent-ils pour faire ainsi parler les morts ?
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Au XIXe siècle, une vague de mysticisme déferle sur le monde occidental : des individus à la moralité douteuse se vantent de pouvoir établir un contact avec tous ceux qui ont quitté le monde des vivants, ainsi qu’avec des entités fantasmatiques qu’ils nomment plus largement les « esprits ». Ils accomplissent ces tours de force dans le cadre de sessions payantes qui impressionneront durablement leurs contemporains, les « séances ».
Il faudra attendre 1888, soit 40 années après son premier contact prétendu avec une entité, pour que Margaret Fox livre la vérité : la rencontre initiale n’était qu’un canular, et les séances données au cours de sa carrière une longue liste de supercheries. Mais le mal était fait : le spiritisme continuerait à se diffuser et recruter des milliers d’adeptes de par le monde.
Quant à celles par qui le malheur était arrivé, les sœurs Fox (car ceux qui aiment jouer à se faire peur trouveront souvent deux petites filles à l’origine de leur terreur, cf. l’affaire du foulard de Creil), elles moururent dans la pauvreté moins de cinq ans plus tard, non sans avoir tenté de récuser la funeste confession.

Les illusionnistes de l’époque dénonçaient le charlatanisme de ces soi-disants « médiums » : eux qui avouaient user de subterfuges démontraient qu’ils savaient reproduire sur scène des effets similaires. En 1877, l’ouvrage posthume de Jean-Eugène Robert-Houdin, Magie et physique amusante, exposait par exemple les techniques utilisées par les frères Davenport.
Lors de leurs séances, Ira et William Henry Davenport demandaient à être attachés avant d’invoquer des esprits, toutes lumières éteintes ; les spectateurs sentaient alors des objets voler au-dessus de leur tête, et lorsqu’on rallumait les bougies, les deux frères avaient toujours les mains liées. Évidemment, dès qu’on ne pouvait plus les voir, les escrocs se libéraient de leurs liens insuffisamment serrés pour envoyer valser des bibelots au-dessus du public !
Dans une autre démonstration de leurs pouvoirs, les deux larrons se laissaient enfermer avec des instruments de musique dans un meuble en bois, le « cabinet spirite ». Puis, comme par magie, des sons étranges venaient s’échapper des instruments, alors que les deux hommes étaient là encore censés avoir les mains liées…

Dès 1860, John Henry Brown proposait un moyen de lutter contre les superstitions en publiant un ouvrage permettant de « voir des fantômes ». Après avoir fixé pendant plusieurs secondes l’une des illustrations de son Spectropia, si l’on tourne les yeux vers une surface de couleur unie, on observe une image fantomatique flotter quelques instants (pour en faire l’expérience, vous pouvez consulter des extraits de son grimoire sur cette page).
L’auteur tirait partie d’une illusion d’optique désormais bien connue : lorsqu’on a été exposé suffisamment longtemps à un stimulus visuel, une image rémanente apparaît temporairement dans notre champ de vision. L’effet est d’autant plus fort qu’on a déjà une petite idée de ce que l’on va observer, ce qui explique sans doute pourquoi les deux exemples les plus fréquents concernent la figure de Jésus Christ et la photo iconique d’Ernesto Che Guevara.

Or, s’il est un politicien français qui garde l’image du révolutionnaire à jamais imprimée dans sa mémoire, c’est bien Jean-Luc Mélenchon ! L’élu de gauche est de ceux qui aiment à mobiliser les fantômes du passé pour colorer leurs discours.
Car de même que les spirites entraient dans des états de transe au cours desquels ils prétendaient servir de conduit à l’expression des personnes disparues, le politicien aime à convoquer les mânes des anciens lorsqu’il prononce un discours vibrant d’une ferveur singulière. À gauche, il s’imagine savoir ce que dirait Jean Jaurès – et pour que la séance parlementaire tourne à la séance spirite, sans doute, Jean-Luc a même voulu hériter de son siège à l’Assemblée ! À droite, il s’exprime sans gêne au nom de Charles de Gaulle. À l’extrême droite, il assure répondre à l’appel de Jeanne d’Arc – juste retour des choses pour une femme qui, selon la légende, entendait des voix…
Pourquoi un tel engouement pour les défunts ? Pas uniquement pour plaire à ceux qui sont le plus près de la tombe – on sait que les retraités votent plus que les jeunes. Puisque nos ancêtres les plus illustres ont une image positive dans nos mémoires, le politicien veut être associé, dans notre esprit, à ces personnages légendaires. Il souhaite ainsi profiter de ce biais cognitif qu’on appelle l’« effet de halo », qui nous fait voir d’un œil favorable tout ce qui baigne dans l’aura d’un autre élément positif.
Du dernier compagnon de la Libération à Valéry Giscard d’Estaing, en passant par Joséphine Baker, le président Macron n’a de cesse de multiplier les hommages pour que l’aura de figures mythiques rejaillisse sur sa personne !

Mais Jean-Luc Mélenchon, lui, ne saurait se contenter de communiquer aves les fantômes : il les fait carrément apparaître sur scène ! En 2017, il crée la surprise en annonçant tenir un meeting en simultané dans deux villes, par la grâce d’un « hologramme ». Les spécialistes s’étranglent en l’entendant prononcer le terme : foin d’hologramme, puisqu’il s’agissait en l’occurrence d’une simple illusion d’optique. Et le principe sur lequel repose l’effet était déjà exploité par les illusionnistes et les gens de théâtre à l’époque où le spiritisme prenait de l’ampleur : il a pris le nom de « fantôme de Pepper ».
Il suffit de projeter une image sur un écran semi-réfléchissant placé à 45° face au public pour donner l’impression qu’un individu caché sous la scène, par exemple, apparaît sur les planches aux côtés des autres comédiens. En effet, l’écran incliné laisse passer la lumière venant de la scène mais réfléchit également une partie de la lumière provenant de la partie cachée ; dans l’œil des spectateurs, une image vaporeuse vient dès lors se superposer à ce qui se passe sur les planches, ce qui permet à un personnage fantomatique de jouer au milieu des acteurs. Un principe qui avait déjà permis à Michael Jackson, le « roi de la pop », de remonter sur scène cinq ans après sa mort pour faire danser chacun des os de son squelette.
En avril 2021, à quelques jours du premier tour, le leader de La France insoumise renouvelle l’exploit en apparaissant dans 7 villes en même temps ! Les expérimentations des politiciens avec la « technologie » et leur rapport maladroit au numérique provoquent souvent des situations cocasses, bien en ligne avec cette expression désuète qui reste employée par les moins modernes d’entre eux, « il faut changer de logiciel ».
Que nous réservent les candidats à la présidentielle pour les mois à venir ? Une projection dans la France du futur par le biais d’un jeu en réalité virtuelle ? Une discussion avec un avatar militant dans le métavers de Facebook ? Une cryptomonnaie pour spéculer sur les possibilités de réalisation des promesses ? Dans ce brouillard de guerre qui enveloppe la campagne, nous avons hâte de découvrir quel nouvel écran de fumée les candidats nous ont préparé !
Et nous ajouterons enfin, pour conclure, que les politiciens les plus exaltés ne se contentent pas de faire parler ou danser les morts : ils les font carrément voter !