Brisure et saut de coupe : la magie des cartes d’adhérent
La magie des cartes, qu’on appelle « cartomagie » dans le métier, repose sur une multitude de techniques nécessitant adresse et doigté. La façon dont Les Républicains ont désigné leur candidat pour la présidentielle nous en a donné une belle illustration, depuis les tergiversations sur les cartes d’adhérent de Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, jusqu’aux tractations sur le soutien des électeurs déçus d’Éric Ciotti… Dans la « guerre des cartes » qui continue à faire rage, quels sont les manipulateurs les plus habiles ?
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Il y a quatre ans, Xavier Bertrand quittait Les Républicains (LR), dénonçant la dérive droitière d’un parti dans lequel il ne se reconnaissait plus. Deux ans plus tard, Valérie Pécresse lui emboîtait le pas pour les mêmes raisons. L’un comme l’autre auront finalement accepté de reprendre leur carte pour revenir dans le jeu, avec un seul objectif : exécuter le fameux tour de « la carte ambitieuse », cet effet par lequel une carte supposément introduite au cœur d’un paquet revient miraculeusement se placer au sommet !
Lorsque vous replacez une carte au sein d’un paquet, sur l’injonction d’un prestidigitateur, ce dernier peut discrètement effectuer une « brisure » : il positionne sa main qui tient le paquet (dite « en position de la donne ») de façon à créer un léger espace au-dessus de la carte insérée. Marquer cet emplacement lui offre alors la possibilité d’enchaîner sur un certain nombre de passes : sauts de coupe (il va faire remonter toute la partie basse du paquet, celle au-dessus de laquelle se tient la carte replacée, afin que cette dernière se retrouve tout en haut), faux mélanges (il fera mine de modifier l’ordre des cartes mais laissera en fait le jeu inchangé), contrôles (il saura à tout moment où se situe la carte)… Tout dépend de ce qu’il a en tête, c’est-à-dire de l’effet qu’il souhaite réaliser.

Ces techniques requièrent cependant un certain doigté, et les amateurs les moins habiles ont intérêt à sacrément répéter avant de prendre le risque de se produire en public. Xavier Bertrand n’aura pas suffisamment développé sa dextérité, et n’a plus qu’à s’en mordre les doigts… Le Canard enchaîné daté du mercredi 8 décembre nous révélait ainsi qu’il avait bien pris conscience de ses faiblesses : « J’ai perdu pour une histoire de cartes […] Ça s’est joué à 3000 voix », confiait-il en déplorant que ses concurrents aient mieux su mobiliser leurs militants – provoquant au passage une hausse du nombre d’adhérents. Marine Le Pen validait son analyse : « C’était à celui qui a fabriqué le plus de cartes. Et Xavier Bertrand a perdu la guerre des cartes. »
Mais Valérie Pécresse n’est pas sortie d’affaire pour autant : d’autres prestidigitateurs veillent au grain, qui souhaitent couper dans son jeu (et lui couper l’herbe sous le pied) afin de récupérer un beau paquet de cartes d’adhérents. On se souvient ainsi qu’Emmanuel Macron a réussi à se faire élire en 2017 en siphonnant l’électorat socialiste, alors même qu’il était déjà perçu comme un politicien de centre droit. Cette année, le président compte bien réitérer l’exploit en captant les voix de la « droite de la prospérité », celle qui se préoccupe avant tout d’économie, par opposition à une « droite de la protection », qui se reconnaît davantage dans Éric Ciotti… Et qui ne voit pas non plus d’un mauvais œil le polémiste Éric Zemmour.
Le LR se trouve de fait pris en tenaille, courtisé à la fois par la majorité présidentielle et par un candidat d’extrême droite dont on sait combien il aime utiliser ses (son) doigt(s) !